Une violence au calme calculé
Sous des airs apaisés, les débats sengagent avec âpreté. Lonctuosité sert de faux nez à une féroce violence verbale.
Dieter Krombach est arrivé en retard à son propre procès. Mais quarante minutes de liberté prises sur lhoraire fixé nont rien pesé au regard de la densité des débats qui ont retenu la Cour dassises de Paris, devant laquelle il va devoir sexpliquer sur le décès de Kalinka Bamberski, décédée dans la nuit du 9 au 10 juillet 1982.
Comme il était prévisible, avant que la cour nentre dans lexamen des faits qui justifient ce procès, les avocats de la défense ont été invités à présenter des conclusions et des observations préalables. Au regard de ce qui sétait produit lors dun « premier procès », écourté en avril dernier, on pouvait raisonnablement sattendre à du fracas. Il y en eut. Mais point de cris ; tout fut affaire de ton.
Les avocats de la défense ont renoncé à la posture du berger quils avaient endossé au premier tour pour crier au loup tant et si fort
que personne à la fin ne semblait plus les croire.
Le tango du loup
Ainsi, larrogance juvénile de Me. Philippe Ohayon, plaidant comme on envoie un morceau de hard rock, a-t-elle fait place à un numéro de danseur argentin
chaussé de crampons. Pour sa part, Me. Yves Levano a maitrisé le chien fou quil lâchait naguère, pour endosser les habits de la grandmère
ceux que met le loup dans le conte.
Demblée ils jurent que « nous ne sommes pas là pour refuser le procès », la main sur le cur pour signifier que leur passion est éteinte. Las, leur sincérité poussée « par le droit, pour le droit, rien que le droit » sent le coup tordu. Comme ils lavaient fait en avril, ils revendiquent lapplication du principe non bis in idem. A savoir, arguent-ils, que « Dieter Krombach a déjà été absous en Allemagne pour le meurtre de Kalinka, on ne peut donc le rejuger (non bis) pour les mêmes faits (in idem) ».
Bien sûr, ils noublient pas quen avril dernier la Cour les avait déboutés sur ce point. Et parce quils se doutent quil en sera de même cette fois-ci, ils se doivent tout de même de partir à la conquête des nouveaux jurés et choisissent dajouter une mesure aux arguments qui avaient causé leur précédent fiasco. Le premier, Yves Levano promet « des éléments nouveaux », mais auparavant il étrille « le spectacle malsain donné par André Bamberski qui sest promu justicier », avant de conclure que « la Justice nest pas la vérité dun homme qui se prétend victime avant même que le tribunal lait déclaré ».
Le téléphone du général
Cest ensuite à Philippe Levano que revient le privilège dexposer dans le détail « les éléments nouveaux » qui doivent faire chavirer laudience. Ainsi, on aurait trouvé dans la liste des appels téléphoniques dune journaliste avec laquelle André Bamberski était en contact, le numéro du Général Caille. De là à penser que le général était tapi dans lombre alors que Dieter Krombach se faisait enlever par deux Kosovars, il ny a quun pas que franchit allègrement lavocat. Avec des arguments imparables : il a fait la guerre dans les Balkans. Pis : il connaissait la journaliste et, le jour de lenlèvement, il avait décroché son téléphone ! Bref, il ne le dit pas avec ces mots exacts mais le propos est clair : nous sommes dans une affaire dEtat. Quelques mots servis en appoint viennent arrondir le propos, mais pas lintention quil cultive. Et de plaider « pour une coopération judiciaire européenne », et denjoindre la Cour à « remettre le dossier tout entier à la Cour de justice européenne », pour enfin en conclure que « ce sera là la seule façon dobliger lAllemagne à coopérer ». Ainsi, près de trente ans après les faits, la défense en appelle au dossier que les Allemands refusent de transmettre, concédant en cela quil manque des éléments dans cette affaire.
Coluche et le Procureur
Pierre Kramer, le procureur a invoqué Coluche pour dénigrer largumentation de la défense : « on veut nous faire croire que la justice allemande est comme la lessive de Coluche qui lave blanc et encore plus ». Approximatif, certes, mais lintention y est. Seule la chute est plus percutante : « la justice allemande na jamais rendu pour ou contre Krombach, une décision digne dautorité. Vous ne pouvez rien opposer à cette Cour ».
Pour André Bamberski, Me. François Gibault et Me. Laurent de Caunes ont vu dans largumentation de la défense de Dieter Krombach « un procédé », dont le seul but est de retarder les débats : « on veut polluer vos esprits en inventant maintenant une barbouzerie conduite par un général connu dune journaliste qui elle-même connaissait André Bamberski. Je vous rappelle que Dieter Krombach a été condamné et quil faisait lobjet dun mandat darrêt. Il a été arrêté, cest tout ».
La Cour sest retirée aux alentours de 18 heures pour délibérer, et rendra son arrêt ce matin. Très probablement, comme elle lavait fait en avril, elle conclura que le procès peut se poursuivre. Mais il serait illusoire de croire quon entrera dans lexamen des faits. Létat de santé de Dieter Krombach devrait, en toute logique, faire lobjet de débats préalables supplémentaires.
A.J-K
Un jury jeune et déjà modifié
Les neufs jurés qui constituent le jury, ont été tirés à louverture de laudience, comme le veut la règle. Hormis la première jurée qui parait avoir franchi le seuil de la quarantaine, les huit autres paraissent aborder à peine le cap de la trentaine et certains même ne semblent pas lavoir encore franchi.
Le tirage initial a donné six hommes et trois femmes. Mais après la pause déjeuner, un juré (homme) ayant eu un malaise, il a été remplacé par le premier juré suppléant (une femme).
Ainsi, le jury est-il désormais composé de quatre femmes et cinq hommes. En cas de défaillance supplémentaire, rentent maintenant deux hommes et une femme susceptibles de jouer les remplaçants.
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André Bamberski porte plainte
Courroucé par les arguments soulevés par la défense de Dieter Krombach, André Bamberski a enjoint ses avocats à déposer plainte sur laudience pour « diffamation », à lencontre de Me. Lévano et Ohayon.
Dans le mémoire écrit déposé devant la Cour, les défenseurs du docteur Krombach auraient évoqué « des menaces de morts proférées (par André Bamberski) à ladresse du juge ayant réglé son divorce avec Danielle Gonnin ».
« Cest scandaleux, humiliant, et cest faux », a tonné André Bamberski. « Je ninterdis pas aux avocats de plaider, je leur interdis de mentir et de tenter dinduire la Cour en erreur. Je porte donc plainte contre eux ».