Dieter Krombach cherche lesquive : navrant
et pathétique
Au secours de sa cause, laccusé attendait la déposition de sa fille. Mais une tentative de manipulation de la cour provoque un effet désastreux.
Hier matin, Dieter Krombach a provoqué un retard dune heure à la reprise des débats. Malaise. Oui, mais pas le sien.
La Cour apprend dune part quil a refusé, selon les infirmiers pénitentiaires, de prendre ses médicaments. Dautre part, cette nouvelle est aussitôt suivie dune autre ; mercredi, Dieter Krombach sétait plaint : « on refuse de me donner mes médicaments », levant les mains dun geste désespéré il avait ajouté : « vous pouvez me fouiller, je nai rien dans les poches ». En soi, cétait vrai. Car on a appris hier matin
quil les avait dissimulés dans ses chaussettes !
Une fille au secours de son père
Nul ne sait encore leffet quaura produit cet incident dans lesprit des jurés. Souhaitons, pour les avocats de Dieter Krombach, eux aussi abasourdis par ce qui ressemble à une tentative de manipulation, que limpact naura pas érodé les efforts entrepris par Diana Krombach, 47 ans, fille aînée de laccusé, qui a ouvert la journée.
Une belle femme blonde, grande, élancée et élégante, elle dépose dans un français parfait. Avec une émotion juste, sans trémolo plaintif ni excès de pathos, elle parvient à éclipser limage écornée de laccusé pour faire émerger la figure de son père, « sévère certes, mais profondément attentif à léducation des quatre enfants. Il ne faisait pas de différence entre mon frère et moi qui étions les siens, et Kalinka et Nicolas qui étaient ceux de Monsieur Bamberski ».
Elle raconte une famille détruite « par cette affaire, par les médias qui disent nimporte quoi ». Elle poursuit en brandissant des documents qui prouvent qu« il a voulu comprendre ». Puis, elle se souvient de « ce moment irrationnel, surréaliste » où son père lappelle pour lassister au chevet de Kalinka. Mourante ou déjà morte, elle ne sait pas. Elle revit ces instants affolés où le docteur « pleurant, tremblant et désemparé », tente de piquer vainement, et repiquer encore sans y parvenir non plus le corps inerte de ladolescente.
Souvenirs confus et mêlés
Elle raconte des faits, des gestes, un homme aussi qui se débat en proie à la panique. On voit la scène, on voit le père et la fille ; les ampoules quil narrive pas à remplir tellement il tremble, les emballages quelle lui arrache des mains, les seringues qui sentassent sur le rebord de la fenêtre, et celles quil faut encore remplir. Mais elle ne parle pas de Kalinka.
La présidente lui demande pourquoi, selon elle, ce matin-là, Dieter Krombach la appelée, elle, et non pas la mère de Kalinka. Elle na pas de réponse. Krombach non plus.
« Ces moments là ne sont pas raisonnés, ils sont purement émotionnels », dira-t-elle.
Ensuite, elle croit se souvenir que, la veille, elle a vu son Dieter Krombach faire une piqûre à Kalinka. Elle situe ce moment après le repas du soir. Or, il apparait sur une déposition, que Diana a quitté la table avant Kalinka, pour sortir et rejoindre une bande de copains.
Rien de grave en soi, tant il est vrai que vingt neuf ans plus tard, on ne saurait exiger que la mémoire, troublée par les informations entendues, lues et vues, soit dune précision absolue. Lambiguité est ailleurs. Non pas tant dans le témoignage lui-même que dans la réalité quil induit : pourquoi Krombach appelle sa fille et non pas sa femme, la mère de Kalinka, dune part et dautre part, comment se fait-il que Madame Danielle Krombach-Gonnin nait pas été réveillée par les cris, alors que Diana la été ?
Linfirmière sème du vent et des doutes
Arrive ensuite à la barre, une inconnue. Maya Van Hulst était infirmière urgentiste pour la Croix Rouge. Le 10 juillet 1982, elle est la première personne extérieure à la famille à pénétrer dans la maison.
Kalinka est déjà morte. Dabord, en lui ouvrant la porte Dieter Krombach lui dit : « je crois que vous arrivez trop tard » ; ensuite, elle constate et confirme : « le corps était déjà rigidifié quand je lai touchée ». Et cette dame souriante et sincère explique que le médecin arrive ensuite, quon lui demande de transporter le corps à lhopital alors quelle nen a pas théoriquement le droit, alors quon aurait du appeler la police. Tout cela, elle le sait, mais elle le fait. Elle ne sexplique pas encore pourquoi. Et elle parle, elle expose des « souvenirs », renvoyant à des choses qui ne sont pas dans le dossier. Avenante, elle bavarde presque. Gentille.
Mais son discours est émaillé de confusions. Parce quencore une fois près de trente ans sont passés sur laffaire et son cortège de rebondissements. Mais soudain, dans ce chaos informel, surgit une drôle de lumière. Comme souvent, elle vient de là où on ne lattendait pas : « Quelques jours plus tard, je suis allé voir le docteur Krombach à son cabinet. Je voulais savoir ce qui sétait passé, de quoi la petite était décédée. Il me dit quil ne sait pas, mais quà lautopsie, on a trouvé trace dune blessure sur son sexe ». Alors, la présidente Xavière Siméoni, sétonne :
- « Monsieur Krombach, votre épouse nous a dit hier quelle ignorait tout de lautopsie. Avez-vous parlé de cette entaille à votre épouse ? Si oui, pourquoi ne la-t-elle jamais mentionné, si non pourquoi le lui avoir caché ? »
- « Je lui en avais parlé, bien sûr ».
- « Madame Gonnin, interroge Xavière Siméoni, votre mari vous en avait-il parlé ? ».
- « Non, je ne me souviens pas ».
Les avocats dAndré Bamberski ne manqueront pas de plaider sil est vraiment possible quune mère qui cherche à comprendre la mort officiellement « inexpliquée » de sa fille, peut oublier un détail de cette nature.
A.J-K
Une suspension qui exaspère Me De Caunes
Après les témoins présents, est venue lheure des absents. Leur témoignage est cependant importante pour que les jurés aient une compréhension complète du dossier. Ils sont nombreux ceux qui, appelés en Allemagne, nont pu faire le déplacement en France. Certains sont morts, dautres malades, dautres encore nont pu être joints.
Comme le prévoit la loi, la déposition quils ont effectuée devant les enquêteurs, sera lue. Scandale sur les bancs de la défense. Tels des Zébulon survoltés, Mes. Levano et Ohayon se lèvent comme un seul homme pour dénoncer « un procès irrespectueux ». Et de protester contre limpuissance pour ne pas dire la mauvaise volonté- de la Cour, à faire venir déventuels récalcitrants. Et de se montrer victimes. De quoi ? On ne sait pas. Offensés en tout cas. De quoi ? Pas davantage.
Ce quon appelle « un incident daudience ».
Cest alors que, visiblement courroucé, Me Laurent de Caunes, lavocat dAndré Bamberski, se lève pour tonner : « Je déplore linsincérité de la défense. Il y a des dizaines de procès pour lesquels des témoins font défaut. La règle est écrite dans la loi : quand on ne peut les joindre, leur déposition est lue. Point à la ligne ».
Il a fallu une suspension daudience, (« cest-à-dire une autre heure de perdue et du temps pendant lequel on évite dexaminer les faits », a renchéri Me. Alexandre Parra Bruguière lavocat de Danielle Gonnin), pour que la cour attende les conclusions des avocats du docteur Krombach.
Une nuit encore à attendre, puisque la décision de la cour sera connue ce matin, à la reprise de laudience.
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