Une journée dabsences
Entre les témoins qui désertent et les trous de mémoire de laccusé, la journée dhier aura été celle des absences.
Huit témoins cités par lune ou lautre des parties ne viendront pas au procès. Certains ont fait valoir des excuses médicales qui sentent dailleurs moins laffection pathogène que la fuite, un autre est introuvable, et un dernier est décédé.
Ces défections ont donné lieu à une nouvelle prise de bec entre les défenseurs de laccusé Dieter Krombach, ceux dAndré Bamberski et Danielle Gonnin pour la partie civile, et laccusation soutenue par lavocat général Pierre Kramer.
La mémoire qui flanche
Quand enfin le procès commence, Dieter Krombach ouvre la journée. Il est invité à raconter cette nuit du 9 au 10 juillet 1982, au terme de laquelle on retrouvera Kalinka sans vie.
Laccusé commence sa narration par lenterrement de ladolescente, à Pechbusque près de Toulouse. Curieux ? Peut-être. Sauf si lon retient de son témoignage quen cette occasion, pour une question de protocole, André Bamberski aurait montré de la colère contre son ex-épouse. De là à ce que le père de Kalinka ait entretenu une rancur, il ny aurait donc quun pas. Surtout, ceci pourrait expliquer lacharnement quil a déployé pour traquer celui qui lui aurait pris sa femme.
Mais la présidente Xavière Siméoni, ne se contente pas de cette approche du scénario. Avant de parler dintentions, elle veut parler des faits. Or, les faits, ramènent vers le docteur Krombach, ce qui semble embarrasser lintéressé. De fait, entre les déclarations de sa fille Diana(1) , les témoignages lus à laudience, mais aussi les réponses qua faites lintéressé aux différentes questions qui se sont posées permettent désormais de savoir que, cette nuit-là, Dieter Krombach a hanté la maison. Kalinka dormait ou ne dormait pas, sa fille est arrivée avant ou après que ladolescente réclame un verre deau : tout bouge au gré des versions successives. Cependant, quelques constantes finissent par émerger : Dieter Krombach a croisé Kalinka la nuit de sa mort et lui a parlé, ce qui fait de lui la dernière personne à lavoir vue vivante.
En soi, ce pourrait ne pas être gênant. Ce qui lest davantage, cest de ne plus savoir quand a eu lieu cette rencontre, et quel en était lobjet. « Elle voulait boire », dit une première fois Krombach, puis « elle narrivait pas à dormir, je lui ai donné un demi-comprimé de Frisium », affirme-t-il ensuite. Dans sa première version, il était aux toilettes quand Kalinka laurait interpellé. Dans la seconde, il était dans la cuisine.
Dérobades ou confusions ?
Sil est possible dadmettre que laccusé rencontre quelques troubles de mémoire, le dossier est parfois plus implacable. Pour dépasser lembrouillamini subi ou organisé par laccusé, la Présidente lengage sur un maquis plus épineux encore que ses déclarations : elle sort le dossier dinstruction.
Dabord, elle rappelle le nombre de convocations policières ou judiciaires auxquelles laccusé ne sest pas rendu. De 1989 à 2010, elle en égrène six. Puis elle puise les déclarations faites en 1982 et 1983 -peu après la mort de Kalinka, donc- auprès des autorités allemandes, pressées par la France de rendre des conclusions qui sembleraient sorties dune enquête.
Quand une déclaration en contredit une autre, le docteur Krombach y voit tour à tour « une mauvaise interprétation de (mes) interlocuteurs » , ou bien « lémotion » qui le submergeait alors, lempêchant de graver la scène dans son souvenir. Mais, de façon récurrente : « je ne me rappelle pas », « cétait il y a si longtemps »
sont des réponses trop souvent revenues hier pour que la clarté absolue sinstalle. Les jurés auront-ils remarqué si ces affirmations rédhibitoires surgissent quand se dresse un embarras, ou se profile une impasse, ou préféreront-ils croire à une marque dabattement ?
Toujours est-il quau terme de la journée, Dieter Krombach nest sans doute pas parvenu à dissiper le climat desquive qui a entouré sa prestation à la barre. Notamment quand il a été question du rapport du premier médecin, intervenu sur le corps sans vie de Kalinka.
La police tenue à lécart « par négligence »
Le Docteur Hilmar Jobst avait fait lhonneur de sa présence au premier procès. Le 4 octobre dernier, il est tombé malade et na pas pu venir hier, certificat à lappui. On a donc lu la déposition quil a consenti à faire devant un magistrat français, en 2010, qui confirme dailleurs ce quil était venu dire au « premier procès » : « Le docteur Krombach ma dit quil avertirait la police. Il ne la pas fait. Je lai su deux jours plus tard ».
En tant quurgentiste, dune part, mais aussi parce quil avait jugé ce décès « inexpliqué », le docteur Jobst aurait du avertir les autorités locales. Mais, dit-il dans son procès-verbal, « le Docteur Krombach avait une excellente réputation, cest pourquoi je lui ai laissé le soin de le faire ». Or, il ne le fera pas et, cest par un coup de fil du dépositoire de lhôpital ( en Allemagne « les pompes funèbres ») que la police sera avertie deux jours plus tard.
Pressé de sexpliquer sur cet « oubli », laccusé glisse un fataliste « je nai pas dexplication ». Il nen a pas davantage pour aider la Cour à comprendre pourquoi, après avoir essayé de sauver ladolescente quil pique et repique avec seringues et force ampoules de produits divers, sans que personne nait jamais vu le moindre emballage médical dans la chambre. Pas dexplication non plus sur « loubli » de signaler au docteur Jobst le somnifère administré à Kalinka.
La journée dhier aura sans nul doute été difficile pour Dieter Krombach. Dautant que lavocat dAndré Bamberski, Laurent de Caunes, a pris la mine desappointée du faux naïf pour porter lestocade : « avec la déposition du docteur Jobst, on a le sentiment que tout sest organisé pour quon ne pose plus de question sur la mort de Kalinka. Si la police navait appris son décès par hasard, la mort de cette enfant serait passée en pertes et profits ». Et de conclure : « quen pensez-vous, Monsieur Krombach, vous qui avez été médecin urgentiste ? ».
« Je nai pas de réponse ».
A.J-K
De lécrit à loral
On a frôlé lajournement du procès
en paroles seulement. Personne, pas même les avocats de laccusé, na intérêt à ce que ce procès soit une nouvelle fois remis. Mais il a fallu suspendre laudience.
La règle de « loralité des débats », veut que chaque témoin vienne en personne dire ce quil a expliqué aux enquêteurs, lesquels ont consigné sa parole sur procès-verbal. Or, quand pour une raison quelconque (maladie, décès, déménagement
) une personne citée fait défaut, la règle veut que le procès-verbal de ses déclarations soit lu à laudience, par le président de la cour dassises.
Cette situation sest mille fois imposée, dans autant daudiences, tant il est rare quun procès fasse « le plein » de témoins cités. Pour autant, ce poncif procédural a donné lieu à une sérieuse passe darmes entre avocats.
En termes clairs : du temps perdu. Comme si trente ans ce nétait pas encore assez et quil était encore besoin de soulever des évidences à grands coups de moulin à vent : le procès a repris. Bien sûr, la présidente lira les déclarations des absents.
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Lautre fille de Dieter Krombach
On a vu hier Katia Krombach, 19 ans, fille de la quatrième épouse de laccusé. Une jeune fille. Forcément, elle aime son père et le dit : « il est innocent ». Elle en veut à André Bamberski : « il a donné du malheur à ma famille ».
Elle namène rien à laffaire, sinon une vie brisée de plus.
(1)Voir le compte-rendu de la troisième journée