Le témoin-boomerang de la défense du docteur Krombach
Si le doute doit profiter à laccusé, il est parfois des situations où il laccable.
Quels lourds secrets cache lhomme assis dans le box ? Face à un dossier en quête de preuves, il aurait pu jouer loubli et faire excuser ses imprécisions. Las, à trop jeter la confusion, Dieter Krombach fait émerger des évidences : il ne dit pas tout. Ses affirmations sont contredites par des dépositions pourtant discutables, alors que ses approximations viennent heurter de plein fouet des évidences qui surgissent là où on ne les attendait plus.
Une prudence irresponsable
Pour remédier à la défection de certains témoins, il est convenu depuis lundi que la Présidente Xavière Siméoni lira les dépositions des absents, effectuées devant les services de police ou les autorités judiciaires.
Cétait hier au tour des analyses médico-légales, vues au-travers du prisme de ceux qui les ont effectuées ou ceux qui se sont penchés sur les rapports des docteurs Homann et Dohman, sortes de DuponD-DuponT de lexpertise, transportés dans une version judiciaire de lArlésienne.
Cest donc sans eux quon effeuille un rapport dautopsie comme savent en rendre les spécialistes de lincertitude. A grands coup de « il semblerait » et « il est possible », la Cour sachemine vers limpasse quand, soudain, surgissent quelques remarques dune savante ambigüité. « Une déchirure post-mortem de la partie extérieure du sexe (
) des liquides blanchâtres et gris à lintérieur », mais, nous dit-on « ils nont pû être analysés ». Pourquoi ? Les docteurs Homann et Dohman ne le disent pas. Mais la suspicion est là.
En revanche, sur des terrains moins mouvants, ils sengagent : ils trouvent « grotesques » et « déconcertantes », les manuvres tentées par laccusé pour essayer de ranimer Kalinka, la jeune victime. Certes. Et alors ? Krombach le dit : « jétais paniqué, prêt à faire nimporte quoi ». Il la fait. Mais ceci néclaire pas le vrai sujet qui reste tout de même les causes et circonstances de la mort de Kalinka.
Dieter Krombach va aller tout seul vers le précipice que les introuvables Homann et Dohman avaient pourtant balisé. Il explique que jamais, lui, le beau-père aimant de la jeune défunte naurait supporté « la voir découpée sur une table dautopsie ». Sil sest rendu ce matin-là à lhôpital où se pratiquait lexamen, trois jours après la mort de Kalinka, cétait « sur linsistance expresse de Monsieur Bamberski ».
Aspiré dans son propre siphon
Le docteur Krombach le sait : on la vu en présence des médecins légistes. Il sexplique : « jai attendu dans le couloir ».
On ne lui reprochera pas davoir travaillé le dossier pour mieux le contourner. En effet, plusieurs contre-expertises ont eu lieu, zigzagants elles aussi entre le « il est envisageable » et « on ne saurait exclure ». Cependant, cest en creux quapparaissent les failles : Krombach prétend « tout dire » à ses collègues. Pour les aider, bien sûr : Kalinka a eu un traumatisme crânien en 1974, elle a reçu une piqûre de fer la veille de sa mort. Elle a même bu un verre deau pendant la nuit. En revanche, systématiquement il oublie de préciser quelle a pris du Frisium, un somnifère. Pourquoi ? Pas de réponse, mais le doute. Encore.
On a vu des funambules capables de relier deux gratte-ciel sur un fil, de traverser les chutes du Niagara dans le même équipage
et se casser une jambe en montant sur un tabouret pour changer une ampoule. Cest un peu ce qui parait arriver à Dieter Krombach, déséquilibré par son souci de bien faire, den dire plus quon ne lui en demande.
Le coup, hier est arrivé là où on ne lattendait pas. Le laborantin, « le simple balayeur qui sert à ranger les ordures », comme le dit aimablement Krombach geste de dédain à lappui. Interrogé en 2010, par téléphone, Monsieur Friess explique quil se souvient de pas grandchose sinon que « le docteur Krombach voulait assister de toute force à lautopsie. Le docteur Homann sy est opposé. Monsieur Krombach insistait tant que le docteur Homann a menacé dappeler la police ».
Et tout à coup, ce petit bout de phrase vient faire mal. Très mal à lhomme dans le box, celui qui sest rendu à lhôpital « sur linsistance de Monsieur Bamberski » et, jamais au grand jamais naurait voulu voir sa belle-fille « découpée en morceaux ».
Le mauvais bout du râteau
Enfin, au terme de cette journée de naufrage, arrive un témoin cité par la défense de Dieter Krombach, attendu comme une bouée salvatrice en fin daudience.
Voilà donc linspecteur principal Kurt Kraus, 52 ans. Ce nest pas Serpico avec blouson de cuir, barbe de trois jours et fiole de whisky dans la bagnole. Lui, il est adjoint au chef de police dans une ville de 25.000 habitants. Cest plutôt Derrick restylisé pour Plus belle la vie après un régime Dukan. Sous sa coupe de cheveux dun élégant calcul, on sent lhomme qui dégaine plus souvent le peigne que le calibre.
Linspecteur Kurt Kraus na donc rien dun homme méchant. Mais cest un curieux. Il prend son poste en 2002 à Lindau et, forcément, il entend parler de Dieter Krombach. Il vient dailleurs à sa demande. Mais un flic est un flic, même dans une ville de 25.000 habitants. Il a fouillé et retrouvé un dossier. Rien de bien méchant. Juste une espèce de curriculum vitae.
Comme il est venu et quil navait dailleurs pas grand-chose à dire, il parle. Il raconte ce quil a trouvé : « des vieux dossiers ». Il ne le fait pas méchamment. Il dit quil a « appris (
) que Monsieur Krombach avait eu des ennuis ». « Une jeune fille qui avait subi une agression sexuelle dans son cabinet (
) le docteur a été condamné en 1997 », et Kurt Kraus a resorti le dossier. Pour voir.
Il y a découvert, expose-t-il benoîtement « un rapport pour un complément de procédure (
) dans lequel figure une liste de cas suspects dans lesquels Monsieur Krombach a été incriminé ». Et dégrener une liste de sept affaires à caractère sexuel, la plupart prescrites certes, dont on ne saura sans doute jamais rien. Mais là nest plus le propos : cette litanie vient plomber, définitivement, la journée de calvaire vécue par la défense.
Si lon cherche encore ce qui a pu se passer la nuit où Kalinka Bamberski est décédée, il est patent quon pourra chercher toujours. En revanche, lassociation catastrophique de cette série dagressions sexuelles qui hantent le dossier du Docteur Krombach à Lindau fait le plus mauvais effet au sortir de huit heures de contradictions, dapproximations, et parfois de faux-fuyants. La défense aura beau dire que « ce dossier il le faut ». Il est trop tard. Pendant plusieurs décennies lAllemagne la caché. Il ne figurera pas aux débats. Mais son effet dévastateur a chaviré la salle.
Nul ne sait ce que le Docteur Krombach a fait ou pas dans la nuit du 9 au 10 septembre 1982. Il est clair désormais quil na pas tout dit et quil ne veut sans doute pas tout dire. Pourtant, au bout du compte, dun point de vue rationnel cette journée na pas apporté déclairage évident sur les faits ; mais les quelques lueurs qui lont constellée ont en revanche bien épaissi la part dombre qui habite lhomme qui est dans le box.
A.J-K
Boris Krombach : « je ne comprends pas »
Boris Krombach, le frère de Diana, que laccusé a eu avec sa première épouse a pris place à la barre hier en milieu daprès-midi. Grand, costaud, cet homme élégant aujourdhui âgé de 45 ans, est venu dire quil ne comprenait pas « la traque » dont son père est lobjet.
Il rappelle quà la maison « tous les enfants étaient traités sur le même pied dégalité ». Il ne dit pas Kalinka, il dit « ma sur », il parle de sa mort comme dune « catastrophe ».
Sa vie sans doute sest brisée le matin où il a appris la nouvelle. Il a volontiers voulu croire que, même avec douleur, la paix pourrait revenir un jour et effacer un peu « cette journée abominable ». Mais, il en est sûr « le désespoir de Monsieur Bamberski sest transformé en haine et cette histoire est devenue folle ».
Boris Krombach a une certitude : son père est innocent : « Jamais il naurait pu toucher à sa fille ».
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