La défense de Krombach aux abois
Au terme dune journée ennuyeuse et sans grand apport, la défense de Dieter Krombach a joué lesquive sur un coup de théâtre.
« Il faut suspendre ce procès, le temps que nous nous rendions en Allemagne. Deux jours, deux petits jours pour y récupérer toutes les pièces à conviction que nous pourrons » : cest Me. Yves Levano, un des avocats de laccusé Dieter Krombach qui vient de se lever pour jouer les ludions. Laffaire ne serait pas si tragique, cette sortie prêterait presque à sourire. En somme, Me. Levano prétend faire en deux jours ce que la justice allemande nest pas parvenu à accomplir en presque trente ans denquête.
Demi-journée ennuyeuse
Pour laccusé et ses conseils, laudience a repris hier sur une gueule de bois. La veille, laccusé était parti ligoté au cur dune toile daraignée quil avait lui-même tissée à force de contradictions et de dérobades (1).
Pourtant, les débats nont été entamés quà 14 heures, laccusé ayant bénéficié dune « matinée thérapeutique » pour se reposer. Cest donc sur le ronron de la sieste qua été lue la déposition dun collègue du Docteur Krombach. Sans grand intérêt, sinon de confirmer les légèretés que le docteur Krombach prenait avec ladministration de fer par piqûres.
Après le goûter, on a également eu droit à une magistrate Allemande, Suzanne Friedrich, qui se présente comme « agent de liaison judiciaire ». On aura ici du mal à définir son travail car elle est venu dire
quelle navait pas le droit de parler !
Aimable, polie, ne se dérobant pas à son devoir, elle explique sans se départir de sa courtoisie : « Le ministère de la Justice de mon pays ma interdit dévoquer les actes auxquels je nai pas participé ». La présidente Xavière Siméoni prend acte et interroge : « Dites nous alors ce que vous avez fait ». « Rien », répond lexquise Suzanne Friedrich.
Cétait un témoin cité par la défense. Pour prouver quoi ? On ne le saura pas. A moins quelle nait voulu illustrer par lexemple la « coopération » que propose lAllemagne dans ce dossier.
Ladjudant réveille la défense
On a ensuite entendu un gendarme, aux compétences internationales, chargé dune commission rogatoire que lui a confiée la juge Eliane Jolivet, qui a repris linstruction depuis la France en 2009. Devant la Cour, ladjudant-chef Dubois explique ses missions. En gros : se rendre en Allemagne, retrouver des pièces à conviction et les porter au dossier, contacter des témoins et recueillir leur déposition.
Forcément, depuis la nuit du 9 au 10 juillet 1982, date de la mort de Kalinka Bamberski, les indices ont pour la plupart disparus, et les témoins se sont pour certains évanouis sans laisser de trace voire, dautres sont décédés. Cest ainsi que le fruit du travail des enquêteurs est apparu en-deçà des exigences de la juge.
Pour les avocats de la défense, voilà enfin le petit bout de perche. Au terme de longues heures qui laissaient entrevoir un naufrage, les avocats du docteur Krombach ne peuvent laisser passer « ce travail non exécuté qui porte préjudice à laccusé ». Et de sortir dans la foulée, les mots du dimanche : « la vérité, léquité, le respect
» pour conclure in fine quil était urgent que la Cour se retrousse les manches, prenne un billet de train comme un seul homme, « même moi, si vous voulez, jy vais », ira jusquà clamer Me. Yves Levano, et se rende à Lindau (ville où à eu lieu le drame), à Kempten (où siège le parquet) et à Menningen (où a eu lieu lautospie). Tout ceci pour faire en deux jours ce que les enquêteurs Français nont pas réussi à faire pendant leurs huit mois denquête en 2010, et rassembler ce que la justice allemande nest pas parvenue à collecter en trois décennies.
La défense dans limpasse
On frise la pantalonnade. Par bonheur, personne ne sy laisse prendre. Les parties civiles choisissent de répondre comme si la demande était sérieuse. Le coup déclat naura pas lieu, était-ce leffet recherché ?
La présidente en rajoute même : « voulez-vous que nous suspendions laudience pour que vous puissiez vous reposer jusquà lundi ? », demande-t-elle au Docteur Krombach. Visiblement désarçonné, lintéressé cherche du regard ses avocats qui navaient pas prévu cette surenchère. Faute de parvenir à comprendre ce quils attendaient de lui, il balbutie un « ça va, ça va », chargé de suffisamment de pathos pour laisser entendre quil est très fatigué et que dans le même temps le procès peut se poursuivre.
Il se poursuivra donc ce matin avec larrivée à la barre de témoins très attendus : les jeunes femmes qui ont déposé des plaintes contre le Docteur Krombach, pour des agressions à caractère sexuel. Dire que cette perspective est de nature à inquiéter laccusé et ses avocats nest sans doute pas une métaphore.
En revanche, il serait malhonnête dassurer que cet incident daudience a pu être provoqué pour repousser une échéance qui menace de laminer la défense. Malhonnête de lassurer, certes, mais pas interdit de le penser. Comme il nest pas interdit de rappeler quen avril dernier, cest à la veille de lévocation de ses frasques sexuelles que le docteur Krombach avait eu ce malaise cardiaque qui avait exigé le renvoi du procès.
A.J-K
Calmes, mais fermes
Les avocats des parties civiles ont réagi avec calme à lincident daudience provoqué par les avocats de Dieter Krombach, qui veulent que la Cour se rende en Allemagne. Pour André Bamberski, Me. François Gibault a rappelé que « toutes les démarches entreprises auprès de laccusé se sont soldées par son refus de sexpliquer », et quil est dès lors inutile daller chercher ce quil a refusé de fournir ; Me. De Caunes pour sa part a souligné que « depuis 1984 le docteur Krombach a largement eu le temps de préparer sa défense, quil ne vienne pas dire aujourdhui quon le prive de moyens. Ceci nest pas sérieux, on est dans lartifice, et plus on approche des faits, plus on approche de la panique ».
Me. Alexandre Parra-Bruguière, pour Danielle Gonnin, prend le problème à contrepied : « vous ne voulez pas gagner du temps, vous voulez nous en faire perdre. Cette situation devient insupportable ».
Le Procureur le suit sur cette « voie » : « la défense veut sauter dans un train pour lAllemagne, elle en a déjà un de retard dans ce dossier ».
« Nous ne sommes pas de mauvaise foi », a assuré Me. Philippe Ohayon, le second avocat de laccusé: « le repos du docteur Krombach , ce nest pas un luxe, mais un devoir ».
Comprenant enfin ce qui se jouait, Krombach se lève et assure : « je ne sais pas si je pourrai tenir une semaine entière. Je crains que mon cur lâche ».
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(1) Voir le compte-rendu de la sixième journée du procès