« Krombach, cest docteur Jekyll et mister Hyde »
Après une peinture faite par lui-même du praticien estimé et humaniste, Krombach a affronté une jeune femme qui laccuse de viol.
Hier, en fin daprès-midi deux surs ont déposé à la barre : en 1985, sous prétexte de ballades touristiques, Krombach les a éloignées de leur mère et a profité de soirées à lhôtel pour violer laînée. La cadette est encore traumatisée par ce drame qui a anéanti leur vie : « nous avions confiance en lui, il se comportait comme un père ».
Désastreux pour la défense, dautant que pour toute réponse, Krombach les traite de « folles ».
« Merci de me croire »
Cest Johanna, la cadette, qui se présente la première à la barre. Elle a quarante et un ans aujourdhui, mais quelque chose en elle na pas grandi. Elle se dit « étudiante » et, pour parler, tient une peluche (un petit cochon ?) près de son cur.
Elle vient, dit-elle, pour raconter « un chapitre sombre de mon histoire » ; en fait, elle ne dit pas, elle déballe, elle se livre, se vide : « javais 14 ans fin 1984 quand jai rencontré Krombach, qui était le médecin de ma mère ». Et dans le flux parfois désordonné de ses paroles, on perçoit la silhouette de la sombre histoire. La mère, médico-dépendante, a besoin davaler des médicaments pour se sentir vivre. Le Docteur Krombach fait les ordonnances ; en fait, on comprend très vite que, sil soigne la mère, cest les filles quil vient voir.
Le matin il apporte « des petits pains » et les conduit à lécole. Le soir il sinquiète de leurs devoirs. Et les jours de repos propose une excursion dans la montagne : « Dabord, il nous amenait dans un restau cher. Puis il arrêtait la voiture, il mettait de la musique classique, basculait les sièges et récitait des poèmes ».
« Il nous disait quil était un romantique », soupire Johanna qui, déjà, malgré ses 14 ans regarde cet homme dun il suspect : « il ma demandé plusieurs fois en mariage. Je trouvais ça bizarre, mais je ny croyais pas ». Pour ses 15 ans, un livreur lui porte un bouquet de trente roses rouges. Elle ne comprend pas doù vient ce geste saugrenu. Quelques jours plus tard, alors quil la soigne après un accident, le docteur Krombach sagenouille face à elle et lui demande sa main : « là, jai compris quil ne plaisantait pas ».
Puis, le médecin invite toute la famille à Montreux, en Suisse. De là, il a une idée : aller faire de léquitation en Camargue. On ne tarde pas à le deviner, il sagit pour lui de filer avec les filles, en laissant la mère et le frère sur les bords du lac Léman.
Un baiser sous le pont du Gard
Sur lautoroute qui les conduit vers la Méditerranée, Dieter Krombach suggère un jeu aux filles : un baiser tous les deux cents kilomètres. Sous le Pont du Gard, il leur propose de le tutoyer. Et un baiser encore pour sceller ce « pacte ».
Cest le soir que tout bascule : une chambre dhôtel, une seule. Avec deux lits. Le premier a deux places, lautre une seule. Krombach explique quil ne peut dormir dans le second. Il invoque la fatigue, sa taille, et puis cest lui qui paye. Les gamines ont compris que lune delle va devoir partager sa couche avec lami de la famille. Cest laînée qui sy colle.
Johanna ne sen est jamais remise car, depuis, elle a compris. Les demandes en mariage, les roses
cest elle que le docteur Krombach voulait. Cest sa sur qui la remplacée. Depuis, elle vit avec cette certitude mortifiante.
Le même scénario se reproduira quelques semaines plus tard. A Londres, cette fois. Il amène les adolescentes en week-end dans la ville dont Johanna rêve depuis toujours. Johanna encore, et encore une fois le cauchemar sera pour sa sur.
- « Mais pourquoi navez-vous rien dit ? », interroge précautionneusement la présidente Xavière Siméoni.
- « Ma mère ne maurait jamais cru, elle était amoureuse du Docteur Krombach », se défend la jeune femme.
- « Mais, à vous, il ne vous a rien fait »
- « Je ne le sais pas. Je pense intimement que oui, mais je ne peux pas le prouver. Mais ce que je lui reproche, cest quil sest servi de ma mère pour arriver jusquà nous. Cet homme, cest docteur Jekyll et mister Hyde », répond la jeune femme en brandissant sa peluche
- « Monsieur Krombach, que pensez-vous de ce que vient nous dire ce témoin. Est-ce quil vous parait raisonnable quun homme de 50 ans dorme avec une jeune fille de 14 ans ? », sinquiète la présidente.
- « Je ne me prononce pas ».
« Javais honte, jétais humiliée »
Arrive alors laînée, Svenia, 42 ans. Elle raconte à son tour, la tactique du Cheval de Troie, lhomme qui sinfiltre dans la famille, et enfin les voyages en Camargue et à Londres.
Elle a des détails dont sa cadette na jamais eu connaissance : « je nen ai jamais parlé. Javais honte, je me suis sentie humiliée et javais la conviction que personne ne me croirait ». Elle parle en tournant ostensiblement le dos au box dans lequel laccusé feint lindifférence.
Le récit est effarant. En Camargue tout dabord, à Londres ensuite, le docteur Krombach propose une piqûre de Kobal Ferrlecit pour conjurer lanémie : « il ma piquée, je me suis évanouie tout de suite. Quand je me suis réveillée, il ma repiquée aussitôt et jai encore une fois perdu connaissance. Je ne sais combien de temps cela a duré ».
Toujours est-il que, quand elle se réveille, elle sent le docteur Krombach près delle. En Camargue il ny avait quun lit. A Londres, il y en avait deux ; mais sa sur elle aussi était plongée dans un profond sommeil et na pu ni voir ni lui porter secours. Toujours est-il quà chaque fois, elle décrit la même scène. « Le docteur était couché contre moi. Il avait remonté ma chemise de nuit. Jai senti quil se frottait contre mon corps. Jai senti ses doigts, son sexe aussi ». Elle dit avoir été pénétrée.
Elle raconte la suite et, enfin, le lendemain : « jétais tellement choquée, jai cru que javais rêvée ». Le docteur Krombach reste visiblement lucide, puisquil confisque lappareil photo et dit quil se chargera des développements : « quand il ma rendu les images, les photos sur lesquelles il était avaient toutes disparues, et les négatifs aussi ».
Le reste de sa vie sera lépilogue jamais abouti de ces nuit effrayantes. Car si elle parait avoir mieux surmonté son drame intime que sa sur, Svenia est encore en psychothérapie. Elle ne le dit pas, mais on devine quà partir de ces « excursions », sa vie na plus été la même : « Jai dû quitter Lindau tellement javais peur de le rencontrer ».
Pour se donner une contenance, dans son box Dieter Krombach prend tout à coup des notes de façon effrénée. La présidente, visiblement émue par la détresse de cette jeune femme, interrompt laccusé soudain studieux et le prend à partie :
- « Monsieur Krombach, vous êtes-vous posé la question de savoir ce que vous infligiez à ces jeunes filles ? »
- « Ce sont des inventions », rétorque le docteur
- « Si je comprends bien, résume la présidente, vous êtes en train de nous dire que cette femme ment ».
- « Oui. Son cas relève de la psychiatrie. La mère aussi était folle, ce doit être héréditaire », tranche le praticien.
A.J-K
La défense, en panne de défenses
Ce nest sans doute pas avec les pirouettes de laccusé que Me. Yves Levano et Philippe Ohayon parviendront à tirer Dieter Krombach de la fâcheuse posture dans laquelle il semble enferré.
La tentative de suspendre le procès pour se rendre en cortège en Allemagne et tenter de dégotter de nouvelle pièces à conviction, a fait chou-blanc. La présidente Xavière Siméoni a renvoyé les deux avocats au dossier, signalant que, depuis trente ans, lAllemagne invitée à collaborer à lenquête, a toujours refusé son aide à la justice française.
Reste que sil est difficile de présumer limpact quauront eu ces témoignages sur les jurés, il est à craindre que lattitude de Dieter Krombach qui nhésite pas à dénigrer les témoins qui ne lui sont pas favorables, ne saurait augurer dun futur favorable. Trop fin pour être dupe de lui-même ? A moins que son orgueil soit supérieur à son intelligence.
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