Journée de malaises pour le docteur Krombach
Le premier médecin légiste et deux toxicologues se sont penchés sur le décès de Kalinka, et laccusé a fait un malaise, obligeant à suspendre les débats.
Au fur et à mesure quon la cherche, la vérité judiciaire se dérobe. Elle a pris la même tangente hier face aux premiers exposés scientifiques. En revanche, quand bien même labsence de vérité ajoute de la complexité aux débats, sa traque met en lumière une certitude : Krombach a menti.
Des souvenirs presque intacts
Il a fallu plusieurs années à la justice allemande pour ne pas retrouver cet homme de lart. Il a suffi de deux coups de fil à la greffière de la Cour dassises pour le faire venir.
Toujours est-il quon a vu hier - enfin, pourrait-on ajouter- le fameux docteur Richard Dohmann qui, avec le Professeur Höhmann, a signé la toute première autopsie de Kalinka.
Derrière sa barbichette de Père Noël bohème, il est venu avec lenvie de bien faire. Sil se montre très précis sur certains souvenirs, il regrette dêtre trop évasif sur dautres. Il est vrai que vingt-neuf ans plus tard, lui aussi a droit à toutes la compréhension de la Cour, qui excuse ses approximations. Alors quon sacheminait vers « un témoignage de plus », cest-à-dire à la fois aussi probant et aussi discutable que les précédents, ce médecin légiste a apporté en creux, et donc sans le vouloir, un éclairage cru sur ce que fut lautopsie de ladolescente.
Richard Dohmann se souvient « parfaitement » de Kalinka : « jétais encore élève à lépoque. Cétait ma dernière année, javais fait cinq cents autopsies, mais cétait la première fois que je voyais une enfant si jeune ». Il se rappelle donc de ce 12 juillet 1982. Nous sommes 56 heures après le décès : « il faisait chaud (
) ce nétait pas normal que ce corps nous parvienne si tard, dautant quil navait pas été réfrigéré à cause dune erreur : on ne lavait pas adressé à lhôpital, mais aux pompes funèbres ».
En cela, le légiste confirme les errements du début de lenquête : la police navait pas été avertie et la dépouille de la victime avait été dirigée pour être préparée avant de simples funérailles, et certainement pas pour être autopsiée. Alors, il raconte. Le petit corps passé au crible des examens que la justice exige ; avec prélèvements dorganes conservés dans du formol. Cruel mais nécessaire.
Une autopsie a minima
Son professeur, Mr. Höhmann est un homme expérimenté. Pour une jeune fille en pleine santé décédée soudainement, il sait quil faut dabord sintéresser aux parties intimes : ils isolent donc tout lappareil féminin de Kalinka. Sur la partie extérieure de son sexe, ils trouvent « une entaille denviron un centimètre ». Cette blessure a laissé apparaitre une trace de sang. Or, en principe, un mort ne saigne plus. Quimporte, sans autre questionnement, le professeur Höhmann décrète que cette blessure a été faite post-mortem.
Autre curiosité, dans le vagin, les légistes repèrent « une substance blanchâtre virant au gris ». On nen saura pas davantage : « le professeur Höhmann a estimé que des examens complémentaires napporteraient rien ». Et ainsi va lautopsie, qui durera 1 h 20 environ, temps pendant lequel le professeur note ses remarques en parlant dans un dictaphone.
Ce sera tout pour lautopsie : « mort dorigine indéterminée », signent les deux médecins qui ont tout de même remarqué que ladolescente avait du vomi dans les poumons. Auraient-ils signalé alors une mort pas étouffement ? Même pas : Höhmann et Dohmann sont dans linconnu, et ils y resteront.
En dépit de la blessure « post mortem » contre toute évidence scientifique, en dépit du liquide blanchâtre non identifié, en dépit du fait quils naient pas réussir à établir (ou oublié de constater) si Kalinka était vierge ou non, les légistes se contentent « de ne pas pouvoir expliquer cette mort », se souvient encore le docteur Dohmann. Il nen rougit pas, cest sa fatalité à lui. Lui qui reste campé dans ses habits délève, bien caché derrière « le professeur » aujourdhui décédé, et dont on ne saura jamais où est passée la bande magnétique du dictaphone sur laquelle il avait enregistré ses constatations.
Paradoxalement, il émerge de cet inventaire dapproximations, un ou deux points positifs. Dabord, ce ne sont pas les docteurs Höhmann et Dohmann qui ont révolutionné la médecine légale. Ensuite et plus sérieusement, ce formidable gâchis a le mérite de démontrer aux jurés, quil est fondé dentretenir des doutes sur la volonté qua eu la justice allemande délucider ce décès.
Toxicologues et pharmacologues
Si la plupart des prélèvements effectués sur le corps de Kalinka ont hélas disparu, des lambeaux ont fort heureusement échappé au naufrage. Quelques tissus organiques ont été retrouvés, qui ont permis à des experts français de se pencher en 2010 il était temps- sur les molécules exogènes absorbées par la victime.
Le docteur Julien Pépin, toxicologue, a usé des moyens techniques les plus sophistiqués pour « faire parler » quelques millimètres cubes dorganes divers. Il y a trouvé du fer et du cobalt, confirmant en cela les dires du Docteur Krombach qui dit avoir injecté du Kobalt Ferrlecit à une Kalinka « souffrant danémie ». Mais le docteur Pépin pondère le bien fondé de cet apport ferreux : « elle avait un taux de fer deux à quatre fois supérieur à la moyenne normale, et six à huit fois supérieur en ce qui concerne le cobalt ». Il enfonce le clou : « ces taux sont excessifs. Avant de prescrire du fer, mieux vaut sassurer quil y ait une carence ». Et patatras pour laccusé qui soutient depuis le début, que ses prescriptions reposaient sur un diagnostic basé sur des analyses.
Mais ce ne sera pas tout pour lédification du docteur Krombach. Car la science moderne ne laisse rien passer, pas même sur des tissus organiques conservés depuis trente ans. Le docteur Pépin est formel : Kalinka avait absorbé du Frisium (un somnifère), confirmant en cela la déclaration du docteur Krombach qui dit en avoir donné à Kalinka qui ne parvenait pas à trouver le sommeil.
Reste quil découvre ensuite de lIsoptine dans ces mêmes tissus. Et il explique : « si on trouve trace de cette molécule dans le corps, cest quelle a été administrée de son vivant ». Et patatras encore pour le docteur Krombach qui affirmait avoir utilisé lisoptine pour « réanimer » Kalinka
or, si lIsoptine a été absorbée par son corps, cest parce quil fonctionnait encore. Ce nest donc pas, comme le prétend laccusé, « vers 8 heures du matin » que cette injection a été faite, puisquil est à peu près certain désormais que Kalinka sest éteinte, au plus tard, à 1 heure du matin.
Ces quelques molécules ont mis à mal la chronologie proposée par le docteur Krombach pour restituer la nuit de la mort de Kalinka. Cela ne suffit pas à signer une culpabilité, mais pour le moins un mensonge.
On attendait à la suite du toxicologue, deux experts en pharmacologie et un urgentiste spécialiste des réanimations. Las, tout à coup le docteur Krombach fait un signe. Il se tient la poitrine et réclame son traitement durgence. Il est 17 h 30. Les pompiers arrivent à son secours, laudience est suspendue.
A 18 h 45, la Cour revient
et la Présidente annonce une suspension. Le procès reprendra aujourdhui à 14 heures.
A.J-K
Laccusé toujours enfermé dans ses contradictions
Pour justifier sa présence aux portes de la salle dautopsie, Dieter Krombach a toujours expliqué quil avait « demandé lautopsie sur linsistance de sa femme Danielle Gonnin, elle-même harcelée par André Bamberski ».
Il assurait que la seule pensée de « voir un être cher découpé en morceaux » (sic), suffisait à lhorrifier. Non seulement il a été établi que ni Mme. Gonnin, ni André Bamberski nont effectué de pression, mais un témoin est venu assurer que le Professeur Höhmann avait dû menacer dappeler la police pour empêcher Dieter Krombach dentrer dans la salle. Lintéressé niait farouchement cette péripétie, en répétant quil naurait pas supporté de voir Kalinka soumise aux exigences de la médecine légale.
Hier, nouvelle version. Le docteur Dohmann ayant certifié à la barre que Krombach voulait entrer, ce dernier a du mal à nier. Il change de sujet, répond à côté. Enfin, la présidente un brin exaspérée tente une question va-tout : « avez-vous demandé à assister à cette autopsie : oui, ou non ? ». Ne pouvant plus reculer Krombach admet : « oui, je lai demandé ». Et de se rattraper : « mais jai été content quils me laient interdit ».
|
Incertitude
Victime dun malaise, le docteur Krombach a quitté le palais de justice de Paris en ambulance. Il devait être acheminé vers la salle Cuzco de lHôtel Dieu, où il réside le temps du procès. Là, il fera lobjet dexamen divers et de soins qui devraient lui permettre de reprendre sa place dans le box aujourdhui à 14 heures.
Voire, si son état est jugé inquiétant, le procès serait alors menacé dun report sine die. Une perspective qui ne réjouit personne, pas même ses avocats qui ne souhaitent pas voir leur client emprisonné pour quelques mois supplémentaires, sans jugement. Il est clair que, plus tôt Krombach sera jugé, plus tôt ils auront de bonnes chances de le faire sortir.