Laccusé campe sur ses positions
Alors que le procès sachève, lex-femme de Dieter Krombach a déposé une ultime supplique pour lever des inconnues encore en suspens. En vain. Les plaidoiries commencent ce matin.
Arriver au bout dun procès ne signifie pas quon atteint la vérité. La comparution de Dieter Krombach devant la cour dassises de Paris depuis le 4 octobre dernier, ne déroge pas à la règle, et les jurés resteront en panne de lumière pour forger leur opinion. Faute de preuve définitive, leur « intime conviction » décidera du verdict qui pourrait, au mieux être connue ce soir sans doute fort tard dans la nuit, mais plus raisonnablement demain.
Le dialogue de la dernière chance
On a vu comment, jeudi, Dieter Krombach avait refusé linstant de vérité que lui proposait Me. Alexandre Parra-Bruguière, lavocat de Danielle Gonnin, qui fut sa troisième épouse(1).
On a rejoué hier le même scénario. Mais cette fois, cest Danielle Gonnin en personne qui est à la barre. Dabord, la présidente lui demande les impressions quelle retire des débats. Pareille à elle-même, Danielle Gonnin, serrée dans un chemisier et un pantalon qui lui donnent un air hors dâge, répond de sa voix chétive. Comme sortie dun sommeil qui lépuiserait, et probablement sidérée davoir partagé pendant dix ans la vie dun inconnu, elle explique quelle a été « choquée ». « Choquée par les témoignages de ces jeunes filles (qui assurent avoir été victimes de viols Ndlr) et des experts ».
Cest une femme qui nentretient aucune animosité à légard de ses anciens maris qui se font face ; que lun poursuit sans relâche, que lautre fuit avec la même obstination. Au début de laudience, elle lassurait de sa voix monocorde et douce à la fois : elle navait pas encore choisi son camp. Elle était là pour Kalinka, bien sûr, et au nom du doute
Elle ne dit pas quelle est peut-être aussi venue au nom de son passé. Pour savoir si aimer cest parfois se tromper.
Hier, sans se départir de son calme, elle explique quelle a sans doute basculé : « çaurait été un accident, jaurais pu le comprendre. Mais, là, je mattends au pire ». Venant delle, cette phrase a valeur de sentence.
Fine mouche, la président sent linstant propice : « Si vous aviez quelque chose à dire à Monsieur Krombach, que lui diriez-vous ? ».
Danielle Gonnin comprend. Elle lâche le pupitre des témoins quelle empoignait comme un bastingage. Elle se tourne vers le box : « Je veux te regarder dans les yeux pour te demander ce qui sest passé cette nuit-là. Est-ce que tu peux me répondre ? ».
Krombach dit oui, bien sûr, avec le ton de lhomme sur qui elle peut toujours compter.
« Si tu es innocent, réponds »
Alors, dans le silence fragile de sa petite voix qui cherche un souffle, sengage un dialogue.
Comme si Danielle Gonnin avait rejoint un monde dont elle semblait abstraite, quasi ectoplasmique, elle pose non plus ses questions de mère qui a peur ou dex-épouse ayant trouvé asile dans le déni, mais elle déballe les questions que tout le monde se pose. Et surtout une maman.
- « Les experts disent quelle est morte avant 1 heure du matin », entame-t-elle
- « Ce nest pas vrai », répond Krombach
- « Mais pourquoi les experts trouvent ces produits dans son corps(2) »
- « Cest faux »
- « Pourquoi lui as-tu donné du Frisium ? »
- « Elle me la demandé »
- « Non. Elle nen prenait jamais »
- « Je te lassure », répond laccusé
- « Non, cest faux »
Krombach baisse la tête. Elle reprend :
- « Moi, jessaie de comprendre. Cest ma fille qui est morte. Je ne suis pas là pour te faire plonger. Si tu es coupable, il faut que tu paies ; si tu es innocent, réponds à ces questions. Hier, mon avocat ta tendu une perche : est-ce que cest un accident ? ».
Cest fini. Krombach balbutie. Il cherche les mots qui lui permettront de répondre à côté ; mais face au mal de la femme, ses mots dhomme ne viennent pas.
Danielle Gonnin vient de comprendre que le bel étranger en panama et lunettes noires qui surgissait dans les embouteillages surchauffés pour lui offrir un éventail, nest plus là. Et dailleurs, a-t-il existé un jour ? Ou na-t-il jamais été quun séducteur de filles à soumettre à sa part dombre, et de femmes élégantes à faire miroiter à la lumière sociale ?
Devinant le malaise de Danielle Gonnin en plein vertige, la présidente reprend la parole et poursuit linterrogatoire. Surréaliste : les témoins mentent, les experts se trompent. Et si une jeune femme assure avoir batifolé dans le salon alors que Danielle Gonnin dormait à létage, « cest parce quelle est un peu prétentieuse ». Krombach comme le calque parfait du portrait psychiatrique élaboré par lexpert Daniel Zagury qui disait : « il est capable de plaider la culpabilité du monde entier, sauf la sienne(3) ».
Les pleurs dAndré Bamberski
En cet ultime étape du procès la Cour se devait aussi dentendre André Bamberski.
Il se présente tout dabord comme lhomme qui arrive au bout dun combat qui, dabord, a voulu combattre une rumeur : quand on a su que Kalinka avait une trace de piqûre dans le bras, les pires rumeurs ont circulé. On parlait doverdose. Cest une des raisons pour lesquelles je suis allé aussi loin : pour montrer à la face du monde que ma fille nétait pas comme ça ».
Le combattant tombe alors les armes. Le vindicatif témoin qui, le matin encore titillait les avocats de Dieter Krombach, cède la place au père, à lhomme capable de larmes pour cette enfant en laquelle il avait bien sûr mis tous ses espoirs, et dautant plus fondé à regarder lavenir que Kalinka avait eu la grâce de sen montrer digne.
André Bamberski lui aussi est en plein vertige. Laccusateur qui, hier, présentait un scénario indéboulonnable, a compris et vacillé lui aussi sous les évidences de laudience. Dailleurs, il na plus de scénario. En revanche, il a une idée précise dun contexte : « Krombach est un prédateur sexuel qui aimait les adolescentes. Quand il a su quà la fin de lété Kalinka rentrait en France, il na pas voulu la laisser séchapper. Il la eue ».
Il ny a plus de classeurs, de paperasses
Cest un papa qui parle, et qui pleure enfin ! est-on tenté de dire- qui pleure des larmes dhomme sur une enfant morte trop jeune, sur une injustice. Ce nest pas le petit Polonais balloté par la fureur du monde, qui sadresse à la cour ; celui-là, il avait effacé lardoise dans le regard clair de Kalinka, justement. Cest le père qui veut rétablir la dignité de sa fille pour se montrer Vivant comme il laurait été sous son regard.
Enfin nu, il naît devant cette Cour, objet de tant de tourments.
Loin des dossiers, il est sans haine. Il sait que la partition est maintenant jouée. Il a tenu la promesse faite à Kalinka.
A.J-K
Requalifications en cascade
Pour être certain doffrir un large éventail de choix aux jurés, lavocat général tout dabord, les avocats dAndré Bamberski et enfin, les avocats de Dieter Krombach ont proposé des « requalifications subsidiaires » de laccusation.
En termes clairs, Dieter Krombach est concrêtement renvoyé devant la Cour pour « meurtre ». Cest-à-dire que le parquet a estimé quil a eu lintention de tuer Kalinka. La peine maximale est de vingt ans.
Cependant, au vu des débats, et de lincertitude qui demeure sur ce qui sest réellement passé dans la nuit où Kalinka a perdu la vie, lavocat général a proposé aux jurés que, au cas où ils ne retiendraient pas lintention homicide, Dieter Krombach soit jugé pour « voies de fait ayant entrainé la mort sans intention de la donner », et de retenir également « les circonstances aggravantes que ces faits ont été commis sur mineur par une personne ayant autorité ». La peine maximale est de trente ans.
Me. Laurent de Caunes, lavocat dAndré Bamberski, demande que, si la Cour retient le meurtre, les circonstances aggravantes sappliquent. La peine maximale est la perpétuité.
Curieusement, les avocats de Dieter Krombach ont demandé que la Cour pose la question de « lhomicide involontaire ». Ce qui signifie quaprès avoir nié en bloc toutes les accusations, même celle de laccident, il sont maintenant prêts à admettre que Dieter Krombach a participé dune façon, peut-être involontaire, à la mort de Kalinka. Mais participé quand même.
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Premières plaidoiries ce matin
Les plaidoiries vont senchaîner toute la journée.
Dans lordre : les parties civiles tout dabord. Il y a cinq avocats : un pour Diana Krombach, un autre pour son frère Boris, un autre pour Danielle Gonnin, et deux pour André Bamberski.
Ensuite, on entendra lavocat général pour ses réquisitions. En substance, après avoir soutenu laccusation qui pèse sur le docteur Krombach, il demandera une peine aux jurés.
Pour finir, on entendra les avocats de laccusé qui sappliqueront à le défendre.
En comptant, au minimum, une heure et plus souvent une heure trente par avocat, la journée menace dêtre chargée. Voire, il nest pas exclu que les plaidoiries aient besoin dempiéter sur le samedi matin.
Xavière Simeoni, présidente de la Cour dAssises
(1) Voir la chronique de la douzième journée.
(2) Un sédatif et un produit de réanimation (voir la 12ème chronique).
(3) Voir la chronique de la dixième journée.