Quinze années de réclusion requises contre Dieter Krombach
Les avocats dAndré Bamberski ont plaidé en faveur dune condamnation pour « meurtre aggravé » ; lavocat général a demandé une condamnation pour « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner ». Il a réclamé 15 ans.
On le sait depuis avant même le début de laudience, toutes les parties civiles ne sont pas daccord. Avec la constitution de Diana et Boris Krombach, les enfants de laccusé, devenus à leur tour parties civiles en cours daudience, il est évident que toutes les voix qui se sont élevées hier nont pas fait bloc pour convaincre le jury dun scénario unique, opposable à Dieter Krombach.
Les avocats de laccusé prendront la parole ce matin, le verdict sera rendu dans laprès-midi.
Convaincus que Krombach a menti
Le doute qui hier soir devait partager les jurés, tenait sans doute moins à laccusé lui-même, quaux différentes perceptions du drame quont suggéré les six intervenants de la journée.
Pour la défense de Danielle Gonnin, Me. Alexandre Parra-Bruguière, a été le premier à se lever. Suivi par Me. Romain Boulet et Adrien Mamère, les deux avocats désignés par Diana et Boris Krombach. Ce fut ensuite au tour de Me. François Gibault, pour André Bamberski. Il clôtura la matinée de plaidoiries, et cest Me. Laurent de Caunes, second avocat dAndré Bamberski , qui prit la relève après la pause. Vers 17 h 15 enfin, lavocat général se leva à son tour pour requérir durant environ 1 h 20 mn.
Romain Boulet et Adrien Mamère, comme il était prévisible, se comportèrent en auxiliaires de la défense. Ils ont une place à part ici, en ce sens quil était assez peu probable dattendre de leur part quils accablent, au nom de Diana et Boris, laccusé qui est aussi leur père. Ils ont retenu laudience une heure, livrant ce qui pourrait ressembler en quelque sorte à un écho anticipé de ce que plaideront ce matin Me. Levano et Ohayon. Inexpérimentés, mais appliqués, ils ont choisi une plaidoirie de récusation, en somme, disant en substance que ce procès navait pas lieu dêtre.
Si les parties civiles représentantes de Mme Gonnin tout dabord et dAndré Bamberski ensuite- nont pas proposé de cohésion dans leur perception de la mort de Kalinka, elles ont au moins trouvé un point dunanimité avec lavocat général pour défendre la certitude concordante selon laquelle Dieter Krombach avait menti.
Lavocat général, dailleurs, fera la synthèse de ce consensus : « il ne se contente pas de taire, ni de masquer ce qui sest réellement passé : Dieter Krombach essaie de nous tromper en mentant. Il ment sur les horaires, il ment sur ce quil a fait cette nuit-là, et quand il nous explique quau matin du 10 septembre il essaie de réanimer Kalinka, il ment encore sur ses intentions, car il sait quelle est morte ». Au cas où il aurait pu être mal compris, il a fait le choix des mots simples pour atteindre les jurés : « Le scénario quil a construit : cest du flan », a-t-il conclu. Voilà au moins qui est clair et signe une position.
Divergences sur les intentions
En revanche, sil sest exprimé avec le respect que doivent offrir les débats en cour dassises, il est un hiatus fondamental qui a divisé les avocats respectifs dAndré Bamberski et celui de Danielle Gonnin. La divergence ne sexprime pas tant dans le mode opératoire que dans les intentions qui furent celles de Dieter Krombach le soir du drame.
La construction matérielle de la dramaturgie ne se conçoit certes pas de la même manière, selon Me. De Caunes et Gibault, que daprès la version proposée par Me. Parra-Bruguière ; mais leurs propositions respectives achoppent sur des détails ou des chronologies pour finalement aboutir sur un autre point daccord : Kalinka a été « sédatée(1) » , et sa mort est la conséquence de « ce presque coma », comme le dira Me. François Gibault.
En revanche, ce sont les intentions que Dieter Krombach nourrit envers Kalinka, qui séparent les deux lignes de partie civile.
Pour André Bamberski, Laurent de Caunes et François Gibault voient « dès le début de la soirée la mise en uvre des conditions du crime, et son exécution ensuite quand Mme Gonnin est endormie ». Pour eux, « la mort de Kalinka est préméditée ». « Dabord, après la promenade du soir, Krombach veille à endormir son épouse pour quelle ne puisse ni lentendre ni, à fortiori, venir le déranger ». Krombach a mis tout en uvre pour parvenir à ses fins.
« Son objectif, cest la beauté de Kalinka. Non pas sa beauté dâme, mais celle de son corps dadolescente bientôt femme, plaide Laurent de Caunes. Si Diter Krombach agit ce soir-là, cest parce quil sait que dans deux semaines environ, Kalinka va revenir définitivement à Toulouse. Il ne lui reste plus que quelques jours pour agir sil veut posséder sa proie ».
« Ce soir-là, dans la maison tout le monde dort, et sa fille Diana est sortie. Cest pour lui le moment ou jamais », résumera Me. Gibault. Il passe donc à lacte. Son objectif non avoué, mais clair dans lesprit dAndré Bamberski, cest le viol. Les avocats le plaident et soutiennent lautre volet de la démonstration : « Krombach sait que Kalinka na pas de secret pour sa mère. Sil la possède, il ne peut prendre le risque quelle se souvienne, et quelle rapporte à quiconque ce dont elle a été victime. La drogue quil lui a fait ingurgiter ne suffira pas et il ne lignore pas. Il lui faut donc la faire taire radicalement, définitivement ».
A contrario, pour Danielle Gonnin, Me Alexandre Parra-Bruguière se tient en retrait de cette construction. Sa cliente est daccord pour concéder que Kalinka a été endormie. Artificiellement et puissamment. Mais dans quelle intention ? Quel serait le mobile de cette sédation qui, on le sait, confine au coma ? Me Parra-Bruguière sarrête sur ce seuil et nen dit pas davantage.
Bien sûr, il nest pas naïf, et il explique que « le mobile, quand on y songe, ne peut nous empêcher de faire le rapprochement avec les dix-sept femmes ou jeunes filles qui, à des degrés divers, se sont plaintes dagressions ou de provocations sexuelles. Elles sont peut-être les figures du morceau de scénario qui nous manque ». Il insinue lintention probable, mais ne va pas jusquà porter laccusation de front.
De quel crime parle-t-on ?
Ces différentes approches de lintention criminelle de Dieter Krombach amènent les parties civiles à proposer aux jurés deux types dévaluation.
Danielle Gonnin reste aux portes du geste volontaire pour proposer la vision dun accident médical. Reste la question du mobile. Me. Parra-Bruguière sen tire avec une interpellation du jury : « Nous lui avons demandé mercredi sil pouvait sagir dun accident. Rappelez-vous, il a dit non. Pour nous, il na pas voulu répondre. Nous vous demandons de le faire ».
Ainsi, ce syllogisme résume toute la duplicité de cette défense qui plaide laccident et donc « lhomicide involontaire », tout en admettant que les jurés pourraient considérer quil sagit de « coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner ».
Me. De Caunes et Gibault ne serpentent pas entre léventuel et le plausible. Pour eux, ils lont dit dès le début de leur intervention, « cest un meurtre ». Un meurtre « avec circonstances aggravantes » parce quil a été commis sur une mineure, par une personne dépositaire dautorité. En clair : cest la perpétuité.
Il fallait attendre, sinon pour départager, mais au moins pour entendre la voix du représentant de la société, que lavocat général prit la parole. Non que son expérience ou sa connaissance se superposent à celles des avocats, mais il est évident quau regard des jurés sa parole incarne une autorité. Réelle ou factice, juste ou surestimée, mais la position de lavocat général est en général ressentie comme la voie médiane entre les approches que proposent les avocats, ressenties comme étant de parti-pris.
Pierre Kramer, magistrat de haut vol et rôdé à toutes les roueries, choisit de ne point trop en faire. Il ne veut pas proposer un choix radical. Il choisit de laisser la porte ni ouverte ni fermée. Tout en ayant expliqué aux jurés quils ont la possibilité de prendre loption du « meurtre aggravé », comme le suggèrent les avocats dAndré Bamberski, il préconise « des violences volontaires qui ont entraîné la mort sans intention de la donner ». Il ajoute que « les circonstances aggravantes sont constituées », et quà cet égard la peine maximale est de trente ans.
Et de conclure : « Pensez à sa personnalité, à son passé. Il a déjà été condamné par contumace, à quinze années de réclusion, et retenez quil ne sest jamais amendé. Il a aujourdhui soixante-seize ans, je réclame quinze années de réclusion ; dans mon esprit cest déjà une petite perpétuité ».
A.J-K
Les phrases-clés de la journée
Les avocats aiment les mots. Leurs plaidoiries sont émaillées de trouvailles. Comiques ou percutantes, voici un florilège.
« Je veux bien entendre que Krombach a été traité comme un justiciable ordinaire. Je lentends, mais je nen crois pas un mot » (Me. François Gibault)
« Krombach, cest le Don-Juan de la seringue » (Me. Laurent de Caunes)
« Il est une chose récurrente : quand on dit la vérité, le discours ne subit pas daltération car la vérité est une. A la rigueur, quelques détails changent. Là, nous avons des déclarations qui fluctuent sur le mode du grand écart sémantique » (Avocat Général)
« Kalinka na pas besoin de fleurs, pas besoin de pleurs, ce dont elle a besoin maintenant, cest que nous lui rendions la justice » (Me. L de C)
« Il triche, il nie, il obstrue. Même captif, il est dans la fuite » (Me. L de C)
« Il intoxique ses patients, non pas tout de suite avec une seringue, mais avec son sens de la psychologie, en les amenant à demander elles-mêmes leur piqûre » (Av. Grl)
« La justice, ce ne sont pas des avis de chancellerie, ou des renvois dascenseurs entre diplomates. La justice, cest ce que nous faisons aujourdhui » (F G).
« Sa réanimation, cest du flan » (Av. Grl)
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La défense : un aveu de faiblesse ?
Ce matin, pour la défense de Dieter Krombach, Me Yves Levano et Philippe Ohayon se relaieront à la barre. Curieusement, hier, les avocats de laccusé ont demandé à la présidente de poser la question de l« homicide involontaire ».
Après avoir clamé quatorze jours durant que leur client na rien fait, quil est lobjet dun procès en sorcellerie diplomatique, voilà tout à coup que les défenseurs de laccusé se mêlent de penser quil pourrait tout de même sêtre passé quelque chose dans la nuit du 9 au 10 juillet 1982. Un accident, certes. Mais en lespèce il sagirait dun accident médical. Et qui, sinon leur client « qui na rien fait » pourrait en être le responsable.
Ils devraient livrer ce matin les clés de cette curieuse équation.
(1) Endormie artificiellement.