Du protocole aux premiers affrontements
Dès après la désignation du jury, une sévère empoignade a retardé le début de laudience.
On peut dire de la première journée daudience du procès Krombach, quelle sest déroulée comme prévu ; et ceci vaut tant pour ce qui était attendu, que pour ce que lon pouvait redouter.
Attendue, la président Xavière Siméoni qui, dentrée de jeu, a tenu à prendre ses marques. A peine assise, elle a branché son micro pour demander « dans lintérêt de tous » que les débats se déroulent « dans le respect de chacune des parties ». Plus quune mesure de courtoisie convenue, il sagissait dun avertissement à peine voilé. Au-delà des mots, le ton employé suffisait à comprendre quil faudrait compter avec elle et sa certitude affichée : elle ne confondra pas son rôle avec celui dun aimable scrutateur appelé à arbitrer une partie de tennis entre gens du monde.
De fait, dès après le tirage au sort des jurés, et avant même la lecture de lordonnance de mise en accusation, comme la loi les y autorise, Me. Yves Levano et Philippe Ohayon, les avocats de Dieter Krombach ont demandé à intervenir in limine litis « pour soulever les nullités et vices de procédure qui rendent la tenue de ce procès impossible ».
Plaidoyer pour un report
Me. Yves Levano connait son dossier. Il sait où peser pour faire craindre à la partie den face la blessure qui latteindrait : lajournement de laudience.
Jeune, le cheveu bien coupé, il lance ses premières piques en latin et invoque lirréfragable respect du non bis in idem. Au-delà de la règle de droit, nous sommes ici dans le principe : une personne jugée pour un acte qui lui a été reproché, ne peut plus être rejugée (non bis) pour ce même fait (in idem). Pour lui, « Dieter Krombach a déjà été jugé et il a obtenu un non-lieu » qui lui a été concédé par la justice allemande en 1987. Cette décision de justice simpose désormais à tous. Le reste nest que velléité judiciaire au nom de laquelle on ne saurait déranger une cour dassises.
Pressentant sans doute que largument ny suffirait pas, Me. Philippe Ohayon, avec qui il partage le cabinet mais sans doute pas le coiffeur, co-défenseur pour la circonstance, prend le relais. Il soutient que, si la cour dassises de Paris a des doutes, elle ne doit pas hésiter à demander larbitrage de la Cour de justice de lUnion européenne (CJUE), « qui rendra une décision à laquelle nous nous conformerons tous, mais qui aura au moins le mérite déviter les doutes qui entachent la légitimité de cette audience ».
Et, tel le serpent Kââ sur sa branche susurrant à loreille de Mowgli lenvoûtant « aie confiance », il ajoutait que « la CJUE a obligation de répondre dans les trois mois. Trois mois, ce nest rien après presque trois décennies de procédure ».
Matoise, la présidente ne sy fait pas prendre et glisse à son tour : « faut-il comprendre que votre requête vaut pour une demande de mise en liberté de M. Krombach ? ».
« Heu
On verra plus tard », répond Me. Levano sans trop savoir sil doit recevoir la remarque comme une vraie question ou comme une répartie à lironie grinçante.
De largument à largutie
Outre le fameux principe du non bis idem, dautres causes de nullité ont été passées au tamis de la défense. Entre autre celle qui consiste à remettre en cause la façon dont Dieter Krombach est tombé entre les mains de la justice française : « son arrestation nen est pas une. Cest un enlèvement. Notre client est ici par le fait dun délit ». Ainsi, les formes légales de sa présentation nayant pas été respectées, cest toute la procédure effectuée depuis le 17 octobre 2009, date de son arrivée en France, qui devrait être déclarée caduque. On le pressent, cet argument aussi doit emporter le procès avec lui.
Mais, comme on ne sait jamais, la défense de Dieter Krombach néconomise pas ses forces pour faire feu de tout bois, invoquant labsence de certains témoins (voir ci-dessous) pour soutenir lindigence annoncée de cette audience : « Dieter Krombach veut la vérité, et pour quelle éclate, il faut que tout le monde puisse sexpliquer », ont plaidé Mes. Levano et Ohayon qui estiment que « cette affaire ne peut se contenter dun procès au rabais ».
On a vu des procès démarrer plus mollement. Lentrée en lice de la défense signale, déjà dans la méthode choisie autant que dans la forme employée, quon se battra pied à pied.
La partie civile fait bloc avec laccusation
Les arguments soulevés par la défense de Dieter Krombach ne sont pas anodins tant il est vrai que le droit européen simpose au droit français. Même si elle est évitable, limpasse dans laquelle la défense a essayé daiguiller le dossier nen reste pas moins une éventualité menaçante.
A la reprise des débats en début daprès-midi, Me. François Gibault, avocat de la partie civile au côté dAndré Bamberski, simpose la même énergie que celle déployée en face dans la matinée. Il mène sa contre-attaque sur le terrain du droit comparé ou, plus exactement sur linterprétation quil y a lieu de faire dune décision de la justice allemande. « La cour supérieure de Munich na pas rendu un jugement : elle a classé le dossier sans suite. Sa décision ne peut nous être opposée comme un acquittement car ce nen est pas un. Cest un renoncement. Le renoncement à poursuivre Dieter Krombach sur la base des éléments contenus dans le dossier
à lépoque ».
Pour sa part, Me. Laurent de Caunes, qui porte la cause dAndré Bamberski avec Me. Gibault, sest appliqué à déminer les arguments dispersés par les avocats de Dieter Krombach concernant la légalité de la présentation de laccusé aux autorités françaises, la possible prescription de la condamnation par contumace, « et maintenant, on nous demande dajourner le procès en nous laissant miroiter la coopération des autorités allemandes. Il était temps ! Mais vingt-neuf ans après, ne nous demandez pas dy croire », assène-t-il.
Me. Ohayon choisit cet instant pour bondir : contre tout usage, il interrompait la plaidoirie de Me. de Caunes, en même temps quil était repris illico par la présidente qui réussit à marquer son ulcération, de façon à la fois contenue pour ne pas rajouter pas dexaspération, mais suffisamment marquée pour quelle soit ressentie.
Laurent de Caunes reprend pour résumer le sentiment de la partie civile : « le recours de Krombach, cest du procédé, de la manuvre, une façon assez mal déguisée de chercher encore une fois à gagner du temps ».
Pour Mme Gonnin, anciennement Danielle Bamberski, Me Alexandre Parra-Bruguière qui laccompagne en partie civile ne tient pas à occuper son micro plus que de raison. Il plaide brièvement « laccord plein et entier » avec les arguments de Mes. Gibault et de Caunes : « Depuis de longs mois M. Krombach se dérobe à nos questions. Nous voulons savoir, comprendre. Il est insupportable de voir que M. Krombach cherche à fuir une fois encore ».
Au diapason de la partie civile, lavocat général Pierre Kramer, qui soutient laccusation, effectue lui aussi son intervention en peu de temps. Il voit « du Coluche judiciaire » dans la défense choisie par laccusé « qui se contient depuis le début dans une stratégie dévitement ».
La présidente a levé laudience à 17 h 30. Avec ses deux assesseurs, elle sest retirée pour délibérer. Ce matin, elle fera connaitre dès la reprise de laudience, la décision prise par la cour quant à savoir sil convient de transmettre le dossier à la Cour de justice de lUnion Européenne, ou si au contraire elle estime que les conditions sont réunies pour que Dieter Krombach affronte enfin ses juges.
A.J-K
Note 1: "In limine litis" est une expression du droit procédural signifiant " dès le commencement du procès". Elle est utilisée pour rappeler que les moyens de forme doivent être évoqués dès le début de l'instance et avant même daborder les faits
Les jurés, les témoins, lacte daccusation
Jury : comme dusage, la présidente a procédé dès louverture de laudience au tirage au sort des jurés appelés à constituer le jury. Trois des personnes sélectionnées par le hasard ont été récusées (deux par la défense, une par lavocat général). Au final, le jury se compose de cinq hommes et quatre femmes, jeunes dans lensemble. A la demande de lavocat général, il a été procédé au tirage au sort de quatre jurés supplémentaires. Un nombre assez exceptionnel (dordinaire deux jurés supplémentaires suffisent), qui livre un indice sur la détermination du parquet de mener ce procès à son terme.
Témoins : la déconvenue. Nombre dentre eux, essentiellement des Allemands, nont pas jugé opportun de faire le voyage jusquà Paris. Bilan : ni les secouristes qui sont intervenus sur les lieux du drame pour relever le corps de Kalinka, un médecin légiste et un enquêteur ne seront pas là non plus pour éclairer la cour. La jeune maitresse de Dieter Krombach, qui avait assuré que ce dernier endormait parfois sa femme pour se livrer à des ébats ne sera pas là non plus. Pas davantage la jeune fille qui a été violée en 1997.
Accusation : la lecture de lacte daccusation na pu encore avoir lieu, eu égard à la prise de parole préliminaire des avocats de Dieter Krombach. Cette étape devrait donc saccomplir ce matin.
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« Mensonges » : à la sortie de laudience, André Bamberski a été interrogé par les journalistes. Il dit navoir « pas de pronostic » sur le contenu de la journée. Il a en revanche « regretté que dans ce pays les avocats puissent construire leur plaidoirie avec des mensonges ». Et de pointer les contre-vérités assénées par Mes. Levano et Ohayon pour argumenter la nécessité dun report du procès.
Béquilles : Dieter Krombach est arrivé au palais de justice en ambulance. Il a été poussé dans un fauteuil roulant au pied des escaliers par une escorte de quatre gendarmes et cinq pompiers. Ces derniers lont ensuite porté jusquau premier étage, où est installée la cour. Il est arrivé dans le box en sappuyant sur des béquilles. Il portait le matin une veste grenat, tramée de motifs écossais noirs, délaissée laprès-midi au profit dun pull à col roulé noir.
Il na pas eu un regard avoué en direction dAndré Bamberski. Dire quil ne la pas regardé serait sans doute un peu exagéré. Il a demandé un interprète sitôt entré. Dire quil ne comprend pas tout serait probablement exagéré. Il écoute les débats en mettant sa main en pavillon sur loreille. Dire quil est sourd
On peut en revanche pressentir que la question de son état de santé ne tardera pas à entrer dans les débats. Dire quil fait tout pour nest peut-être pas exagéré.
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Attendue : le silence jusquici entretenu par Danielle Gonnin, la mère de Kalinka, na eu dautre effet que de focaliser lintérêt de la presse. Les médias, forcément en embuscade, lont copieusement filmée et photographiée à son arrivée. Elle na rien dit. Selon son avocat, Me. Alexandre Parra-Bruguière, « elle ne souhaite pas sexprimer avant davoir déposé au procès ». son témoignage est attendu aujourdhui en fin de matinée.
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