Le procès se met en place, les stratégies aussi
Souffreteux mais élégant, hier à 10 h 20 Dieter Krombach a fait son entrée dans le box des accusés de la cour d’assises du Val de Marne, réunie à Créteil.
Chemise blanche au col impeccable, gilet moucheté de noir porté sur un pantalon gris sombre, veste anthracite, le médecin Allemand accusé d’avoir tué Kalinka Bamberski a descendu en grand cortège de policiers, pompier, infirmière et traductrices, les quelques marches qui mènent du seuil de la geôle au siège qui lui est assigné face au tribunal. Veillé par un pompier plus gaillard qu’un seconde ligne de rugby, soutenu par une infirmière affairée, mais s’appuyant toutefois sur la vitre blindée du box, il a pris place à petits pas chétifs sous le regard de la soixantaine de personnes qui constituent le public de ce troisième procès d’assises (voir notre édition d’hier).
Il a retrouvé Maîtres Yves Levano et Philippe Ohayon, ses avocats dont la truculence va jusqu’à l’emportement. Face à lui, à l’autre extrémité de la salle, sur le banc des parties civiles, loin derrière André Bamberski, il peut voir sa fille Diana dont la blondeur était hier illuminée par un sweat shirt vert pomme, et son ex-femme Danielle Gonnin, timide et tassée dans un tailleur à dominante grenat, chiné d’une déclinaison de bruns et de jaunes.
Comme d’usage, un silence scrutateur a accueilli l’installation de l’accusé. Interrogé sur son état civil, il a montré que s’il a sans doute moins d’allant sur ses jambes que précédemment, il a en revanche fait de remarquables progrès en français.
Apres et indigeste débats juridiques
Comme il était à prévoir, le procès a débuté par un examen des différents problèmes de droit –réels ou supposés- soulevés par les parties en présence. Comme de juste, la défense de l’accusé a postulé que cette audience intervenait « en violation de la loi », au prétexte que le médecin Allemand avait été mis hors de cause dans son pays, et que la France n’avait désormais plus à intervenir dans une procédure réglée par la justice d’outre-Rhin. Ce principe, dit « non bis in idem » prévoit qu’un homme ne peut être rejugé (non bis) pour des faits identiques, déjà évoqués devant une juridiction (in idem).
En face, les avocats d’André Bamberski ont contesté à Diana et Hugo Krombach, les fille et fils de l’accusé, leur volonté de se constituer partie civile, au motif que, lors du procès en première instance, ni l’un ni l’autre n’avait invoqué de préjudice ; « pas de préjudice, pas de partie civile », a tranché Me. Laurent de Caunes. Pour sa part, Me. François Gibault, second avocat du père de Kalinka, opposait à la défense de Dieter Krombach que l’accusé n’a jamais été jugé en Allemagne et que son cas peut, dès lors, être examiné en France.
Ces litiges ont été en partie tranchés en première instance. Mais qu’à cela ne tienne : les avocats savent qu’ils sont face à un nouveau jury, lequel ignore tout ou presque de ce qui a été débattu. Il s’agit donc pour tous d’occuper le terrain face à des jurés qui vont devoir se faire une opinion. Pour leur part, les défenseurs du docteur Krombach s’emploient à faire passer l’accusé pour la victime d’un système judiciaire aveugle, prêt à broyer de façon déloyale au besoin tout ce qui passe à portée de dossier.
On le devine, pour André Bamberski, Mes. de Caunes et Gibault s’appliquent à démonter la machinerie piégeuse que tentent d’installer leurs adversaires. Et pour faire bonne mesure, ils y ajoutent leurs propres coups de boutoir en dénonçant « le subterfuge » qui consiste à reconnaitre à Hugo et Diana Krombach le statut de partie civile : « c’est un coup de force, vous venez ici pour peser sur un des plateaux de la balance et soutenir votre père avec le faux nez de ceux qui pleurent leur demi-sœur », a pesté Me. de Caunes.
Les vrais débats commencent ce matin
La cour s’est donné la nuit pour rendre son avis sur toutes ces questions. Même si les parties en présence ont pris la mesure des réponses qui leur ont été faites lors du premier procès, même si les avocats brandissent cette fois-ci des argumentaires plus subtils, chacun s’attend à un résultat à peu près identique. En clair : hormis la constitution de partie civile des enfants Krombach qui pourrait être bousculée, rien ne devrait empêcher le procès de se poursuivre.
Qu’on ne s’y trompe pas cependant. Ce bras de fer procédural au cours duquel les avocats en présence dénoncent pêle-mêle l’iniquité de la procédure, l’impossibilité de juger, l’incompétence de tel expert ou l’abus de droit qui entoure telle question… n’a rien de particulier à ce procès. Ce n’est ni André Bamberski, ni Dieter Krombach qui induisent ce déballage agrémenté parfois de quelques noms d’oiseaux. Il s’agit plus prosaïquement d’une guerre de positionnement à laquelle se livrent les avocats de façon à ne pas laisser à leurs adversaires le loisir d’occuper la partie du terrain sur laquelle chacun espère faire entrer les jurés.
C’est aujourd’hui que va véritablement débuter le procès. Car s’il est vrai que la loi doit être respectée par tous et au bénéfice de tous, elle ne saurait tenir à l’écart la vérité que l’on doit à la mémoire d’une adolescente morte à la veille de ses quinze ans. C’est bien là la vraie raison de ce procès : tenter de faire surgir un peu d’une lumière, enfouie sous trois décennies de noires ténèbres qui n’ont que trop duré.
A.J-K
Le tribunal
Le palais de justice de Créteil ne ressemble en rien à celui de Paris. Les ors de la justice ont ici disparu sous le béton d’un architecte que n’aurait pas renié un Premier Secrétaire de l’ex bloc soviétique.
Seize étages érigés en cathédrale républicaine surgissent d’un océan d’immeubles dont le plus tassé aligne sa dizaine de balcons et fenêtres superposés sans coup férir. Béton, aluminium, asphalte, un peu de peinture par-ci, beaucoup de gris par-là : nu ou réchampi, le béton est roi et l’arbre rare.
Devant le « palais », dont on aura compris qu’il s’agit là d’une appellation administrative, un bassin d’eau croupie dans lequel se noient des feuilles mortes. Plus loin, un centre commercial et son PMU parce que des gens vivent dans les parages ; au loin, l’usine Pernod et des grandes surfaces contemplent l’une des voies d’accès à la capitale : six files embouteillées le matin, en flux continu le reste du temps.
Pour autant, la salle d’audience a des airs cosy. Les boiseries fauves en lamellé-collé apaisent la dureté des murs en béton granité sur les côtés, en aluminium brossé-cuivré derrière la tribune, moquetté jusqu’au plafond derrière le public disposé en arc de cercle sur des coussins moelleux, éclairée par des tuyaux d’orgues semblant crever le plafond. Un parfum d’années Dim-Dam-Dom, en somme, d’où l’on s’attend à voir surgir une secrétaire en Courèges. Mais nous sommes à la cour d’assises et le président se vêt d’hermine.
Les forces en présence
Le président Hervé Stéphan a des airs paternes de grand père lettré, tout d’apparentes rondeurs savamment cultivées en portant loin sur le nez des lunettes qui pourraient lui donner l’air taquin. Quand il les ôte, le personnage montre un visage plus brut, taillé de droites lignes et d’un regard qui conjugue d’un froncement de sourcil le mode impératif. A soixante-quatre ans, Hervé Stéphan n’est pas devenu président de cour d’assises par hasard. C’est lui qui, en 1997, a instruit l’enquête relative à la mort de Lady Di. C’est déjà un indice quant à la rigueur du bonhomme. Plus tard, en 2011, il a dirigé les débats du troisième procès d’Yvan Colonna. Cet autre indice laisse supposer que le docteur Krombach devra produire de sérieux efforts pour l’impressionner.
L’avocat général Jean-Paul Content est aussi procureur adjoint de Créteil. A 58 ans, il est présenté comme « l’homme des procès délicats ». Il a requis au procès d’Action Directe en 1993 et, plus récemment, il a requis contre la fine fleur du banditisme français jugé aux côtés d’Antonio Ferrara et José Menconi, les « rois de l’évasion », qui avaient fui la Santé à coups d’explosifs. Sans oublier 2010 : Fofana et « le gang des barbares ». On a entendu hier un échantillon de son registre vocal : l’homme parle haut et fort et sa réactivité est à la mesure du flux de son verbe : carré et bien planté.
Les avocats de la partie civile :
Louise Tort et Karine Puret, jeunes avocates parisiennes (la trentaine émergente) se partagent la défense de Diana Krombach. Adrien Mamère (Paris) assure celle de Boris Krombach.
Alexandre Parra-Bruguières (Toulouse) porte la parole de Danielle Gonnin, mère de Kalinka, mariée en premières noces avec André Bamberski et, plus tard, avec l’accusé Dieter Krombach. Depuis le premier procès, sa position s’est affermie. Elle l’a dit dans une récente interview parue dans La Dépêche du Midi : « Je suis désormais certaine que Dieter Krombach ment. Maintenant, je veux qu’il parle ».
Laurent de Caunes et François Gibault, sont les avocats historiques d’André Bamberski. Hommes d’expérience, roués, parés aux coups les plus tordus, leur présence sera d’autant plus salutaire que les avocats de la défense ont, au cours du premier procès, pris la mesure de leurs erreurs et s’apprêtent à ne pas les renouveler.
Les avocats de la défense : après avoir un temps été menacés,, sinon de récusation, mais pour le moins de devoir partager la cause avec d’autres confrères jugés « plus mûrs », Yves Levano et Philippe Ohayon soutiendront la cause du docteur Krombach. Le premier a pour avantage de parler un allemand parfait. Tous deux sont jeunes. Le second est plus impétueux que le premier, parfois même un peu exalté et enivré par son propre discours. Cependant, si cabotins soient-ils, ils ne sont pas dénués d’intelligence et il serait sot de les sous-estimer.
Les jurés : six hommes et trois femmes constituent le jury. Trois femmes et un homme ont été désignés « jurés supplémentaires », susceptibles de palier la défaillance d’un (ou plusieurs) jurés titulaires en cours d’audience, comme cela s’était produit l’an dernier où un juré avait dû être remplacé suite à un malaise.