Une journée de confusions
Hier matin, à peine installés sur leur fauteuil de cuir noir, les jurés pensaient en avoir terminé avec les embrouilles juridico-judiciaires qui ont transformé la journée de mardi en cours de droit à géométrie variable. Peut-être pensaient-ils qu’ils allaient enfin savoir pour quels faits ils avaient été requis.
Las ! Dès la reprise de l’audience, sur la volonté d’André Bamberski, Mes. Laurent de Caunes et François Gibault prenaient solennellement la parole pour faire savoir qu’ils étaient priés de se tenir à l’écart du procès, et qu’ils n’assisteraient plus aux audiences.
Voilà qui n’a sans doute pas aidé les jurés à comprendre davantage le but véritable de leur convocation. Mais la journée ne faisait que commencer. Plus tard dans l’après-midi, elle a été clôturée par l’intervention de Dieter Krombach qui, prié de bien vouloir parler de son parcours, a livré un discours assez proche de la purée de pois, tant en ce qui concerne sa construction que l’élocution qui l’a porté.
Toutefois, l’après-midi a sauvé la journée, si l’on peut dire, grâce à l’intervention de Nicolas Bamberski, tendu d’émotion et de sincérité. Enfin une lumière dans ce labyrinthe d’autant plus inextricable, qu’en guise de petits cailloux blancs, ceux qui y sont déjà perdus paraissent y jouer les Monsieur Jourdain de la confusion.
Les avocats quittent l’audience
C’est Laurent de Caunes qui s’est levé le premier. Défenseur d’André Bamberski depuis 2002, l’avocat toulousain a demandé à la cour de bien vouloir lui accorder le temps d’une intervention. Un silence de cathédrale s’est alors emparé de la salle.
Chacun savait déjà, mais par la rumeur seulement : « André Bamberski nous a demandé de ne pas rester à ses côtés pour les débats liés aux faits et l’examen du fond de l’affaire. C’est une décision licite. Nous ne pouvons que nous incliner », a résumé Me. de Caunes qui se faisait le porte- parole de son confrère, Me. Gibault, avocat d’André Bamberski depuis 1985. Et de poursuivre : « André Bamberski pense que sa souffrance, n’a pas besoin de l’intermédiaire ni de l’interprétation de ses avocats. Cette décision me parait un peu irréfléchie, mais nous ne pouvons que la respecter », a-t-il conclu en soulignant que leur client « connait le dossier mieux que personne ».
Visiblement, les avocats du père de Kalinka avaient le cœur gros en prononçant leurs paroles. « Je suis persuadé que M. Bamberski interviendra utilement pour la vérité », a fait valoir Me. Gibault tout en laissant entendre que s’il acceptait lui aussi la décision de son client, ils ne s’interdisait pas de « redouter » la lourdeur de l’audience.
André Bamberski s’est alors exprimé à son tour : « Je me suis senti insulté lors des deux premiers procès (en 2011). Sous la pression de mes avocats j’avais alors consenti à me taire, mais j’en ai énormément souffert. Je n’ai plus envie de me taire, je me bats depuis trente ans, et je demande à être respecté », a-t-il posé, en ajoutant que « ce qui doit être dit sera dit, indépendamment des règles de déontologie avec lesquelles les avocats se ménagent ».
Informé depuis la veille de ce possible coup de théâtre qui n’en était donc plus un, le président Hervé Stéphan est resté sobre : « C’est votre droit ». Avant de prévenir : « En ce qui concerne les insultes, c’est moi qui règle ça. Mais sachez que les débats judiciaires ne sont pas toujours une partie de campagne ».
Et comme pour le lui signifier, un des avocats de Dieter Krombach l’a prévenu : « Nous aussi nous sommes là pour la justice, Monsieur Bamberski. Ce n’est pas la même que la vôtre. Vous savez, Robert Badinter a dit : « la justice est une brûlure » ».
La confusion Dieter Krombach
Appelé, en fin d’après-midi à parler de lui, simplement de lui et non des faits, le docteur Krombach a clôturé la journée.
S’il est patent qu’il a fait de réels progrès en français, il apparait assez clairement que son élocution a perdu de l’allant. Certains y verront un subterfuge, d’autre la marque des ans. Sans qu’il soit possible de trancher, disons que son intervention a jeté un trouble palpable.
Il parle les yeux fermés parce que, dit-il, il y voit « triple ». Les mots se percutent et finissent comme mâchés par la fatigue et la phrase suivante. Le discours est décousu, d’une logique abstraite et d’une chronologie plus qu’aléatoire. L’évocation des souvenirs d’enfance se mêle au décès de Kalinka. Les mariages, les voyages, les accusations et condamnations en Allemagne… Le président le recadre sur le propos : « ne parlez pas des faits, mais de vous ». Et le voilà reparti, voguant entre récit et diatribe, éléments de vie et indignations de toute nature. Pleurant sa femme disparue, accusant André Bamberski, se plaignant des « mensonges » de la jeune fille qui l’a fait condamner en Allemagne.
Impossible de savoir s’il est confus ou fuyant. Parfois, il laisse l’impression de s’échapper à lui-même. Mais parfois aussi, il ressemble d’assez près à l’accusé qui, lors du procès de l’année dernière fuyait les questions gênantes, celui qui jouait le germanophone désolé de ne pas très bien comprendre le français.
Peut-être y a-t-il un peu des deux. L’âge sans doute pèse sur sa cohérence, mais on ne parvient pas non plus à croire que sa vigilance le fuit. Il lui reste encore assez de discernement pour accuser André Bamberski de l’avoir piégé « en (lui) envoyant une fille ». On retrouve sa façon d’aborder les questions gênantes : la main en cornet sur l’oreille, et d’une moue agacée priant son interlocuteur de répéter, un peu comme s’il guignait un sursis lui permettant de mieux peser sa réponse.
Mais les assises ont ceci de particulier, que si chacun peut s’y présenter avec un masque, il en est peu qui parviennent à le garder jusqu’au bout. Il est peu probable que Dieter Krombach échappe à cette règle dont il n’a pas su s’affranchir au premier procès. On devrait donc savoir d’ici peu qui de l’âge ou de sa rouerie affecte le plus le visage que présente aujourd’hui l’accusé.
A.J-K
L’humanité a le visage de Nicolas Bamberski
Au-travers des accents tour à tour pénibles et torves qu’a pris le procès hier, un souffle de vie est entré dans le prétoire en la personne de Nicolas Bamberski. Agé de 41 ans, fils d’André Bamberski et de Danielle Gonnin, cet homme longiligne, vêtu de jeune et décontracté est revenu à la barre parler de sa sœur Kalinka.
Souvenirs et bonheurs d’enfance : enfin un peu de vie. Un peu de réalité. Pour autant, derrière le bonheur enfui, il y a bien sûr la peine, lourde encore. La voix étreinte par l’émotion, il a parlé d’enfants heureux sur les bords du lac de Constance et ailleurs : « ma sœur et moi nous étions fabriqué un monde qui nous mettait à l’abri du divorce compliqué de mes parents ». Il ne peut plus parler, le président lui laisse le temps nécessaire pour se rassembler et poursuivre, toute larme ravalée, mais l’émotion à fleur de peau.
Pour Nicolas Bamberski aussi, le premier procès est passé par là. Depuis, il a réfléchi. Et si la première fois, il disait « ne rien savoir » et « vouloir comprendre », il est maintenant en mesure de livrer les conclusions qu’il a tiré de son observation du premier procès : « Aujourd’hui, je suis convaincu de la culpabilité du docteur Krombach. Je suis certain qu’il a quelque chose à voir avec la mort de ma sœur. Il ne veut rien dire, mais quand la personne ne parle pas, on pense au pire. Pour moi, le pire c’est qu’il a violé ma sœur et qu’il l’a tuée ».
Et de poursuivre : « C’est ma conviction : il l’a tuée et il a usé de son influence sur le milieu médical pour modifier certaines choses », et s’adressant à l’accusé : « Dieter, j’aimerais vraiment que tu t’expliques. Tu as peut-être une maladie mentale. Mais il faut le dire… ».
- « Je n’ai rien à dire », répond Krombach. Et il se rassied.
André Bamberski sans avocats : avantages et risques
Le fait d’avoir choisi de se séparer de ses avocats permet désormais à André Bamberski de pouvoir dire tout ce qu’il veut et de la façon dont il le souhaite.
C’est un avantage en ce sens qu’il est en mesure de tout mettre sur la table, jusqu’au moindre détail et gageons qu’il est prêt à n’en oublier aucun. En outre, ses trente ans de combat, sa blessure encore vive et le côté désespéré de sa croisade peuvent lui attirer la sympathie des jurés.
En revanche, il court le danger que ces mêmes qualités se retournent contre lui. A trop vouloir préciser, il peut se perdre dans des détails qui pourraient apparaitre insignifiants à des jurés qui n’ont besoin que de la silhouette dégrossie de l’affaire, ce qui bien généralement suffit comprendre. L’excès de précision peut faire apparaitre tâtillon et pour tout dire, la multiplication des interventions peut finir par agacer et se retourner contre celui qui croit bien faire.
Toutefois, il est apparu hier que le président a bien pris la mesure de la situation. Et s’il ne connait encore très bien ni André Bamberski, ni Dieter Krombach, il a tout de même saisi la nécessité de contrôler et l’un et l’autre. De fait, l’arbitrage du Président Stéphan qui, rappelons-le, est maître de l’organisation des débats et de leur tenue, affiche un niveau d’exigence et de vigilance –ajouté à une expérience nourrie- qui devrait permettre de contenir les débats.
Dès hier il a fixé la règle : « c’est par moi que tout passe ».
Phrase énigmatique
Au détour d’une question anodine, Dieter Krombach a laissé échapper hier une phrase étrange. En réaction à une interpellation d’André Bamberski qui le soupçonne de simuler une aggravation de son état de santé, Krombach s’est montré exaspéré : « Moi aussi j’ai aimé Kalinka ! J’ai vécu à ses côtés, elle était proche de moi ». Et dans la foulée, ajoutant comme on pose un cheveu sur la soupe : « de toute façon, elle n’était plus vierge et elle avait ses règles ».
Bigre !