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Justice pour Kalinka


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Cinquième journée d’audience
Une journée sans hâte

Krombach, en roi de la piqûre familiale

Hier, on a d’abord entendu l’accusé et ensuite son ex-beau-frère. Dieter Krombach s’est montré filandreux, et l’ex-beau-frère trop agressif pour être honnête. Une constante cependant : depuis son entrée en médecine, le docteur Krombach semble avoir en permanence une seringue sur lui.

A la recherche d’un dossier-fantôme
A l’ouverture de l’audience, l’accusé Dieter Krombach a été invité par le président à faire état de ses rapports avec la famille Bamberski. Cette question était suffisamment ouverte pour que l’accusé puisse y entrer via le père, la mère, ou la fille. C’est sous le seul angle de la santé de Kalinka qu’il a choisi d’aborder sa réponse, sans plus dévier du rail qu’il venait de se fixer.
Il a tout d’abord soutenu qu’il était « normal en Allemagne » qu’un chef de famille médecin soigne les siens. Il n’a donc pas dérogé à cette règle, laissant entendre qu’à cet égard il se montrait plus que vigilant et que, jamais, au grand jamais, il n’aurait improvisé quoi que ce soit.
On sait que Kalinka faisait l’objet d’un traitement pour combattre l’anémie, qui consistait en des piqûres de Kobalt Ferrlecit –en l’occurrence, un apport de fer par voie intraveineuse. Cependant, une question taraude le président Hervé Stéphan : sur quel constat Krombach s’est-il appuyé pour établir que l’adolescente manquait de fer ?
D’abord, répond le docteur, il y avait les indispositions mensuelles de la jeune fille : « C’est bien connu, en perdant du sang, les femmes perdent du fer ». Soit. Cependant, la Cour lui fait remarquer que le traitement avait été engagé en janvier 1981, et que Kalinka n’avait été menstruée que deux fois avant son décès. Sans pour autant s’effrayer de ce constat, Krombach –qui tout à coup « ne se souvient pas avoir parlé de ses règles », ni avec l’intéressée, ni avec sa mère- assure que, « de toute façon, j’avais fait faire des analyses de sang pour établir mon diagnostic. D’ailleurs, jure-t-il, elles étaient dans le dossier médical de Kalinka ».
Hélas, ce dossier médical n’a jamais été retrouvé. Au premier procès, sans pour autant faire appel à quelque science divinatoire, les observateurs avaient même fini par en déduire qu’il n’avait jamais existé. Toutefois, Krombach le maintient : « je suis trop diplômé pour être suspecté de tant de légèreté », répond-t-il en substance, en faisant valoir pour la énième fois un curriculum vitae impressionnant à ses yeux.
C’est André Bamberski qui va alors flétrir ces lauriers si patiemment amassés. Le père de l’adolescente plonge dans le dossier comme un archiviste dans ses grimoires, et brandit un vieux procès-verbal d’enquête : « le 18 décembre 1984, vous avez été perquisitionné à votre domicile et à votre cabinet. Vous déclarez aux enquêteurs qui demandent eux aussi ce dossier « Il n’existe pas de dossier Kalinka. S’il y en avait un, je vous l’aurais donné ». Faut-il croire que vous l’avez dissimulé aux enquêteurs de l’époque, ou que vous nous mentez aujourd’hui ? ».
« C’est madame Gonnin, qui m’avait suggéré d’être vigilant sur le fer de Kalinka », a sobrement répondu Krombach… tout en supposant dans la même phrase que le dossier avait dû rester en possession de son successeur.

L’accusé invente le « para-rapport sexuel »
Toujours engagé sur son axe médical (la question était, rappelons-le : « quels étaient vos rapports avec la famille Bamberski ? »), et pour fuir la question embarrassante de ce mystérieux dossier thérapeutique, Dieter Krombach s’élance soudain, alors qu’on ne lui demandait rien, sur le chemin de la virginité, soi-disant perdue, de Kalinka.
Vendredi, Danielle Gonnin, la mère de l’adolescente avait non seulement lu une lettre de sa fille, mais également rapporté des confidences dont il ressortait que Kalinka avait certes eu une tentation, mais avait choisi de rester pure. Mystérieusement, Krombach avait alors suggéré que la jeune fille n’était pas vierge. Il a réitéré ses doutes hier.
L’avocat général Jean-Paul Content refuse de s’en tenir aux allusions. Il plonge à son tour dans le dossier et y puise un extrait du journal intime de la jeune fille : « le 26 juin 1982, soit treize jours avant sa mort, elle écrit : « je me suis baladée en forêt avec Ivan, je l’aime (…) mais nous n’avons pas fait de bêtises (…) quand j’en ai parlé à maman, elle m’a dit qu’elle ne m’en aurait pas voulu, mais elle m’a trouvé raisonnable quand je lui ai dit que nous ne l’avions pas fait ». Bien sûr, Krombach est invité à donner ses impressions : « Heu… Je n’ai pas tout à fait compris votre question », répond-t-il avec la main en cornet sur l’oreille.
Et il embraye : « Je ne sais plus ce qu’a dit madame Gonnin vendredi, mais ça correspond aux constatations de l’autopsie. Peut-être que Kalinka s’est déflorée toute seule. Voire, avec son petit ami, avec les pratiques qu’ont les jeunes, ils peuvent avoir eu des relations para-sexuelles », hasarde-t-il. Et lui qui jure ne pas avoir assisté à l’autopsie, lui qui garantit n’avoir jamais cherché à en voir plus que le rapport qui lui a été remis, laisse glisser cette phrase ambigüe : « nous avons constaté que l’hymen était détruit ».

Pathologies familiales
Le mieux est l’ennemi du bien, dit-on. L’adage s’est vérifié avec l’arrivée à la barre de Michael Heinze, frère de Monica, la première épouse de Dieter Krombach.
Agé d’aujourd’hui 64 ans, cet ex-beau-frère a la dent dure : « Krombach couchait avec tout le monde, même dans la famille, frappait ma sœur, frappait son fils, et je le soupçonne même d’avoir empoisonné Monica avec du venin de serpent ». Pour faire face à ce déballage, plus proche de la vieille rancune jamais soldée que d’une argumentation basée sur des faits, après l’avoir traité de « contrebandier » Krombach a trouvé la répartie : « Tu es un schizophrène, comme ta mère ».
Et encore, il s’agit là d’un florilège des plus subtiles réparties échangées de part et d’autre du prétoire.
On a toutefois appris au passage que, encore étudiant, Dieter Krombach avait déjà une seringue en permanence à portée de la main, et qu’il ne manquait pas d’en user auprès de sa défunte épouse qu’il trouvait, elle aussi, anémique. Gageons que les jurés se feront leur idée quant à savoir si l’accusé a vécu entouré de faibles femmes, ou si dans le foin de la science en marche, il restera à jamais un génie méconnu de l’aiguille.
Au final, personne ne s’y sera trompé : cette détestable façon de perdre du temps n’a pas fait avancer le procès d’un iota. Le président lui-même, pourtant habituellement vigilant, n’a attendu que trois heures pour rappeler que le sujet reste encore la mort de Kalinka. Il était temps de le souligner.

A.J-K


Malaise
A l’ouverture de l’audience, les avocats de Dieter Krombach ont fait savoir que, durant le week-end, l’accusé avait été victime d’un malaise. Ils ont plaidé pour un « assouplissement » des horaires et requis « l’installation d’un lit de camp » dans l’antichambre du box, afin que le mis en cause puisse mieux se reposer durant les temps de suspension d’audience. Le président a promis d’y veiller.

Contretemps
Mes. Yves Levano et Philippe Ohayon, les avocats de l’accusé, ont demandé « solennellement », la convocation d’un expert à la barre « sans lequel ce procès ne peut se poursuivre plus longtemps ». Il s’agit en l’occurrence d’un médecin toxicologue Allemand dont les conclusions seraient « radicalement opposées » à celles que soutiennent les experts français qui incriminent Krombach.
Nulle précision n’a été fournie quant à la provenance de ce document. Il reste bien saugrenu toutefois que le caractère « impératif » de la convocation de ce témoin, soit soudain ressentie avec autant d’acuité, alors que le procès est déjà bien engagé et que s’amorce la deuxième semaine de débats.


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