Une approche de Krombach, encore loin des faits
On a entendu hier les premiers témoins, mais avant, Dieter Krombach sest exprimé.
Enfin, le procès de Dieter Krombach est entré dans le lit de ce que doit être le cours de la justice : un long fleuve. Sinueux et tourmenté, certes, mais avec deux rives repérables : les questions, les réponses. Cest maintenant aux jurés de trouver le courant, le fil qui les conduira jusquà leur intime conviction. Le droit sert de cadre, cest tout. Pour le reste, la parole est libre, ce qui signifie que désormais les participants appelés à la barre -quils soient accusé, parties civiles, témoins, experts ou avocats- vont fixer le cap de la vérité quen excipera le jury car, au final, cest la seule qui compte car cest de celle-là, et de celle-là seule dont sortira la justice. A cet exercice, le mieux est parfois lennemi du bien.
La présidente balaie les objections
Xavière Siméoni, qui préside les débats dune main ferme, se devait avant tout de répondre aux recours déposés mardi par la défense de Dieter Krombach, et longuement débattus, parfois férocement, tout au long de la journée.
Hier, dès la reprise de laudience, elle a montré ce quon attend dun président de cour dassises : de la clarté et de la détermination. Scrupuleusement, avec la minutie de celle qui sait que la moindre de ses négligences servira un jour dargument, elle a repris pied à pied tous les griefs et revendications exposés par les avocats de Dieter Krombach. Traitant avec la même minutie les questions procédurales que les ratiocinations procédurières, elle a rendu une décision qui a nécessité pas moins dune heure de lecture appliquée. Au final , par sa voix, la cour décidait de « ne pas faire suite », aux oppositions formulées par Mes. Yves Levano et Philippe Ohayon, les avocats du médecin allemand.
Le procès pouvait enfin commencer, dans lordre du protocole cette fois, avec pour premier passage obligé, la lecture de lacte daccusation.
Cétait compter sans Dieter Krombach qui, comprenant sans doute que maintenant rien ne pourra plus arrêter la machine quil a si longtemps tenté de gripper, sinterpose :
- « Je tiens à dire que je ne suis pas coupable, que je nai ni tué, ni violé Kalinka Bamberski »
- « Nous sommes là pour ça », lui rétorque la présidente sur le ton familier avec lequel elle aurait pu ajouter « ça tombe bien ».
Mais cela neut pas suffi. Car Dieter Krombach veut maintenant un stylo, du papier. Il peste. Ses avocats en rajoutent, « comment est-ce possible, pas de stylo ! ». Puis ils veulent joindre des expertises, et demandent « un délai de traduction parce quelles sont en langue allemande ».
- « Le procès a commencé », soupire la présidente sur le ton familier avec lequel elle aurait pu ajouter « il faut sy faire ».
Mal avec le pruneau, bien avec ses coronaires
Pour ne pas commencer trop fort, mais pour quand même cadrer laudience, les médecins experts ont été convoqués les premiers. Leur intervention a pour but de faire le point sur létat de santé de Dieter Krombach qui se présente parfois comme un ancien cardiologue lui-même atteint dune affection cardiaque.
Le docteur Michel Bernard, trente-cinq ans de cardiologie dont quinze en établissement pénitentiaire, savance à la barre :
- « Tout me parait normal », déclare-t-il demblée.
- « Embolie pulmonaire, infarctus ? », interroge, inquiet, lavocat général.
- « Oui, je lai vu. Dans son dossier », lance le médecin.
En trente minutes de déposition, il balaie à peu près tout ce qui pourrait faire de laccusé un vieux monsieur au cur usé :
- « Un infarctus laisse des traces. Deux, encore plus. Alors trois, et à fortiori quatre, il y aurait clairement des séquelles, et on ne remarque rien », tranche le praticien. « Ah, joubliais, le 2 février dernier et le 1er mars, il a appelé pour une arythmie. Il est étonnant quil ne lait pas fait avant », glisse-t-il, lair potache.
- « Est-ce quà lhôpital pénitentiaire il est bien soigné ? », sémeut lavocat général avec un air de Diafoirus faussement naïf.
- « Encore faudrait-il savoir de quoi il souffre ».
- « Mais alors, quest-ce qui justifie quon nous impose ici une pause dun quart dheure toutes les deux heures ? », hasarde, sibyllin, un avocat de la défense.
- « Son âge, tout simplement », conclut le médecin.
Etait-il besoin den rajouter ?
Oui, si lon en croit larrivée jugée indispensable du second expert. Cinquante ans de pratique, dont dix de retraite. Lui, il dresse un portrait médical de Dieter Krombach. De la racine des cheveux jusquaux métatarses, on saura tout : un véritable scanner sous serment. Deux heures durant. Pour ne retenir, au final, que peu après son arrestation Dieter Krombach sest vu interdire la confiture de pruneau : selon ce constat médical implacable, cette gourmandise lui aurait flanquée une diarrhée terrible. On apprend aussi que, dans sa grande sagesse, le personnel soignant de lhôpital pénitentiaire semploie désormais à lui éviter ce genre de déconvenue.
A défaut déclairer le jury, gageons que linformation laura au moins rassuré.
Krombach, sa vie, sa chute
Lordonnancement de laudience prévoit maintenant lentrée en piste de Krombach. Le micro lui appartient, il est invité à proposer à la cour « un résumé de sa vie qui ne prenne pas en compte les faits ». Il sera convié plus tard à sexpliquer sur ces points.
Dieter Krombach dresse alors sa longue silhouette maintenant un peu cassée, et raconte. Sa naissance, à Dresde, en 1935. La guerre qui arrive vite « dans une famille pas riche, mais dans laquelle les parents mettent tout en uvre pour garantir une bonne éducation à leurs enfants ». Pari gagné. Dieter Krombach passe avec brio tous ses examens. Baccalauréat, médecine, spécialité psychiatrie et cardiologie
Mais il se marie tôt, à 28 ans. A des enfants tôt, à 29 ans. Devient veuf tôt, à 34 ans. Cest ainsi que, dit-il, le poste mirobolant aux Etats-Unis, taillé tout exprès pour lui par un professeur qui lavait pris sous son aile, lui échappe. Ses espoirs de carrière sévanouissent : « il maurait fallu laisser mes enfants seuls en Allemagne. Je nai pas pu ». Alors, au nom de la raison, explique-t-il, il accepte un poste de chef de clinique dans un hôpital ; puis au Maroc où il travaille pour le compte du service de santé du Ministère de limmigration.
A Casablanca, ses enfants vont à lécole de la mission culturelle française. Cest là quil rencontre Danielle Gonnin, la maman de Kalinka
Après deux ans et demi passés au Maroc, il revient en Allemagne, en 1977 et rachète un cabinet de médecine générale à Lindau. Il le fait prospérer « javais une bonne réputation, les gens traversaient la rue pour me serrer la main ».
- « Pourquoi un cabinet de médecine générale alors que vous auriez pu vous installer comme cardiologue ? » , demande la présidente.
- « A Lindau, il ny avait pas la clientèle pour un cardiologue. Et puis, javais mis une croix sur mes ambitions ».
Laffaire marche jusquen 1997.
- « Pourquoi arrêtez-vous subitement », feint dignorer la présidente.
- « Parce que javais fait une bêtise », hasarde-t-il sans insister.
La bêtise en question, cest le viol dune jeune patiente de seize ans. Une affaire qui lui vaudra une condamnation et la mise au ban de la médecine. Il choisit de ne pas sappesantir et continue : « jai ensuite fait des remplacements jusquen 2009 ». Ce sera tout.
Krombach choisit de livrer de lui un portrait atone. Est-ce parce quil pense que la pâleur si bien dessinée peut en estomper les aspérités ? Par lassitude ? Ou parce quil revoit le film dun échec, celui du médecin qui ferme la porte à son rêve américain ?
Peut-être. Peut-être est-ce ici la faille. Le point par lequel entre la frustration.
Cest en tout cas la seule ouverture que Dieter Krombach consent à fournir : une femme trop vite mère, qui ne fait pas seulement de lui un père, mais aussi (surtout ?) un homme appelé à rater le rendez-vous que le destin lui fixe pour devenir le grand docteur quil voyait dans son miroir.
Et puis cette « bêtise ».
Il dit quil ne se souvient plus et demande une pause
Frère et sur, chien et chat, le mieux et le bien
Vient alors le tour des deux premier « vrais » témoins. Il faut entendre par là, ceux qui nont dautre lien avec la justice que celui dêtre soumis aux obligations quelle impose. Ils ne sont ni en cause, ni experts, ni appointés par une succursale de la chaîne judiciaire. De simples citoyens, des hommes ou des femmes qui ont eu la chance ou le tort, de voir ou dentendre un « quelque chose » qui pourrait faire la courte-échelle aux sentiments dans lesquels simmergent les jurés.
Voici que savancent sous les ors que la justice déploie avec magnificence pour mieux les y enfermer, Michael et Birgitt Hentze. Lui est agent immobilier ; elle, mère au foyer mais peu importe. Ils sont ici et avant tout le frère et la sur de Monica Hentze, la première épouse de Dieter Krombach, décédée à 24 ans.
Michael Hentze naime pas Krombach : « il frappait ma sur ».
Birgitt Hentze a visiblement de la tendresse pour lui : « taper ma sur, jamais ».
Michael a « vu des bleus partout sur son corps ». Birgitt « jamais ».
Krombach, lui se souvient dune démonstration de karaté un peu trop turbulente et certainement maladroite : « jai voulu lui faire voir, mais cest vrai, jai mal ajusté mes gestes ».
Cest ainsi que penchent les plateaux de la balance. Avec maladresse parfois tant lenvie de « bien faire » vient sonner faux.
Michael est convaincu que Krombach avait rendu sa fille « sexuellement dépendante ». Birgitt jure contre les évidences que sa sur ne lui a jamais fait part de ses doutes sur la fidélité de Krombach
Mais elle la dit et redit sur un procès-verbal quelle a signé : « jétais pressée à cause de la grève du métro ».
Que faut-il croire ? Ce que lon voudra, bien sûr.
Qui faut-il croire ? « Elle nétait pas heureuse avec lui », se lamente Michael ; « elle ladorait, il était tout pour elle », renchérit Birgitt. Le frère dit se souvenir quil « battait son fils Boris » ; « il était doux avec ses enfants », plaide la sur.
Ainsi vont les témoignages. Il faut sattendre à entendre encore cette curieuse litanie qui porte en elle les accents méconnus dune égoïne mystérieuse qui, sur lallant, entame la pièce
quelle recolle sur le retour.
Cest dans ces contradictions et il y en aura dautres- que les jurés vont devoir fouiller, extraire, des accents de vérité, des bribes de certitude et, enfin trouver lélément, largument qui ancrera dans leur raisonnement la garantie davoir une conviction.
A.J-K
Piqure et anémie
Parfois, le détail surgit là où on ne lattend pas. Amené par celui qui nest pas censé le porter.
Ainsi Michael et Birgitt Hentze ont ferraillé sur les circonstances de la mort de leur sur Monica, première épouse de Dieter Krombach : « il lui a fait une piqure », suspecte Michael. « Je nai jamais vu ça », riposte Birgitt.
Xavière simeoni, la présidente, se tourne vers laccusé :
-« Faisiez-vous des piqures à votre première épouse ? ».
-« Oui, des vitamines ».
-« Pourquoi ? »
-« Elle avait de lanémie ».
Si court soit-il, nul doute, et surtout pas Me. Laurent de Caunes, lavocat dAndré Bamberski, que ce dialogue aura de lécho.
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Danielle Gonnin : lex-madame Bamberski sera entendue aujourdhui, jeudi 31 mars. Depuis deux jours, elle cultive le silence. Comme Dieter Krombach, elle ne sera pas appelée à évoquer immédiatement les faits, le décès de Kalinka. Elle parlera ce matin de sa personne dune part, mais aussi et surtout de sa vie commune avec Dieter Krombach. A moins, bien sûr, quau vu du retard déjà pris, la présidente ne décide de poursuivre son audition jusque sur le terrain de laffaire criminelle.
Les faits : On devrait entrer aujourdhui sur le terrain de laffaire criminelle proprement dite. Selon le planning, Dieter Krombach sera le premier à être interrogé sur la nuit tragique du 9 au 10 juillet 1982, au cours de laquelle Kalinka Bamberski a perdu la vie.
Hilmar Jobst lurgentiste allemand appelé sur les lieux du drame, devrait être entendu également, sil consent à se présenter. Il est en revanche quasi certain que les docteurs Dohmann et Hohmann, médecins légistes ainsi que Schonhofer et Schneider, médecins experts, eux aussi cités, ne seront pas présents.
André Bamberski : toujours selon le planning susceptible de modifications, André Bamberski devrait être théoriquement entendu vendredi en début daprès-midi. La présidente lui a toutefois donné la parole hier pour la première fois, « en vertu de son pouvoir discrétionnaire » -cest-à-dire à titre dérogatoire. Il était appelé à répondre à une question de son avocat, Laurent de Caunes qui voulait en finir avec la brouille qui opposait Michael et Birgitt Hentze (voir article). Birgitt Hentze ayant déclaré quAndré Bamberski avait rencontré les parents Hentze pour « enquêter » sur la mort de Monica, leur fille, qui fut la première épouse de Krombach : « Je nai jamais rencontré ces personnes, ni dailleurs cherché à le faire. En revanche, je me suis procuré le récapitulatif denquête relatif à la mort de cette jeune femme », a répondu André Bamberski. Il a dailleurs versé au dossier ce document, qui sera lu demain à louverture de laudience.
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