Autopsie d’une autopsie
Les médecins légistes français qui ont pu examiner des prélèvements miraculeusement épargnés par le dilettantisme de la médecine légale allemande. Entre convictions vacillantes, doutes plausibles et erreurs à ne pas écarter, on a ergoté toute la journée d’hier. Une certitude a cependant émergé : les investigations médico-légales les plus fondamentales effectuées en 1982, dès après la mort de Kalinka Bamberski, ont été négligentes.
Les légistes français restent polis
Il est toujours cruel, dans un procès d’assises, d’aborder l’indispensable volet de l’autopsie de la victime. Pour les proches, les familles, l’être aimé et disparu devient au cours de cet épisode un inventaire d’organes, de molécules, en tout cas réduit à sa seule expression biologique.
C’est pourtant un point de passage fondamental. Plus encore, peut-être, en ce qui concerne les circonstances qui entourent la mort de Kalinka Bamberski. Dans le box des accusés, Dieter Krombach est soupçonné d’en savoir un peu plus que ce qu’il consent à dire. Pour se faire une idée derrière ses constantes dénégations, restent seulement ce qu’on peut appeler dans le cas présent, les « récupérations » effectuées par les autorités françaises. Il s’agit le plus souvent de documents et de quelques lambeaux organiques que les médecins désignent sous le terme de « prélèvements ». En termes clairs, il s’agit de micro parcelles de peau, de foie, de poumon…
La première à intervenir est Caroline Rey-Salmon(1) , la seule pédiatre-légiste de France. Elle a travaillé « sur dossier » ; c’est-à-dire qu’elle n’a eu aucun élément matériel à sa disposition. Sa mission a été de porter un regard sur le travail écrit remis par ses prédécesseurs Allemands, les docteurs Hans Hohmann et Richard Dohman(2) , le 12 juillet 1982. D’abord, elle trouve « singulier » (entendez : « choquant ») que rien ne soit dit dans ce fameux rapport quant à la virginité de Kalinka : « Enfin, tout de même : quand on a un cadavre de jeune fille décédée prématurément, la virginité –et plus largement le caractère sexuel d’une lésion- font partie des examens essentiels !».
Ce n’est pas un coup de colère, mais ça y ressemble. D’autant que les médecins auraient dû « à plus forte raison » être alertés par une lésion d’environ 1 cm repérée par un saignement sur la partie externe de son sexe : « si cette plaie a saigné, c’est que la jeune fille vivait encore. Un cadavre ne saigne pas ».
Rien n’est consigné qui pourrait ressembler à un début de travail sur ces questions fondamentales. Il faut donc supposer, imaginer, penser que, et ne peut-on pas croire que… Bref, le « si » est de mise et le prétoire se parle au conditionnel. Les avocats de la défense sentent le miel de cette position où tout et son contraire sont concevables. Mais ils n’auront pas le temps. C’est l’avocat général qui va les débusquer de leur affût : « Ne pourrait-on pas penser que cette éraflure pourrait être un coup d’ongle ? ». Et la légiste tranche sans appel : « Tout à fait. D’ailleurs ça fait penser à ça ».
Difficile ensuite de proposer une riposte devant un jury qui, vendredi, a entendu Svenia Mauer expliquer comment Dieter Krombach avait usé de ses doigts pour la violer.
Lambeaux et molécules
Viennent ensuite les docteurs Gilbert Pépin et Walter Vorhauer. Le premier est expert en pharmacologie et toxicologie, le second est anatomo-pathologiste.
Gilbert Pépin a travaillé sur dossier pour comprendre la chimie du corps de la défunte. Comme Caroline Rey-Salmon, il déplore une perte fondamentale dans sa discipline : « je note qu’on avait prélevé 5 ml de sang cardiaque de Kalinka Bamberski. Je regrette infiniment non seulement qu’il n’y en ait plus une trace, mais qu’en outre, il n’ait pas été analysé ». Et d’expliquer que le sang cardiaque signale toutes les molécules présentes dans le corps d’une personne à l’instant exact de sa mort : « c’est le seul prélèvement infaillible, qui permet une interprétation catégorique ».
Gilbert Pépin parle « d’erreur manifeste » de ses homologues Allemands qui n’ont « même pas » dosé le fer présent dans le corps de Kalinka, « alors même qu’ils savaient qu’elle venait de subir l’injection d’un produit ferreux ». Il a l’indignation feutrée mais assez explicite.
Toutefois il donne des indications fondamentales : Kalinka avait un puissant somnifère dans le sang ; de la benzodiazépine « qui peut provoquer un coma même à faible dose sur une personne peu habituée à en prendre, et susceptible de sur-réagir à certaines molécules ». Il a également trouvé des traces prononcées d’isoptine, un ralentisseur cardiaque utilisé pour ranimer les personnes ayant des emballements et jugé « contre-productif(3)
» en cas d’étouffement.
De tous les légistes, Walter Vorhauer est sans doute celui qui a eu le plus de chance dans sa discipline. L’anatomo-pathologiste a reçu quelques prélèvements miraculeusement retrouvés en Allemagne et qu’on a daigné lui envoyer. Un bout de poumon, un bout de foie, quelques plaquettes avec du rein et un reliquat de contenu de l’estomac. D’emblée, il tranche : « au vu de ce que cette enfant avait dans l’estomac, elle est décédée aux alentours de minuit ».
Mais, en bon scientifique, il parle de la « conjugaison » de plusieurs paramètres pour étayer son évaluation : « la rigidité cadavérique, la température du corps rapportée à la température extérieure ». Pressé de questions par la défense qui aimerait bien que Kalinka ait perdu la vie aux alentours de 4 heures du matin, il finit par concéder que « la mort n’a pas pu intervenir après une heure du matin » tout en expliquant aux avocats de la défense qui tentent de lui faire avancer les aiguilles : « je vous vois venir. Je sais ce que vous voulez me faire dire, mais votre démonstration ne résiste pas aux constatations ».
Sombre cuisine
Le docteur Walter Vorhauer est un vieux routier des prétoires. Aujourd’hui retraité, on imagine qu’il a affronté dans sa carrière des bataillons entiers d’avocats acharnés à le déstabiliser.
Mes. Philippe Ohayon et Yves Levano, les avocats de Dieter Krombach, ne font pas exception à la règle. Forcément, l’analyse de l’anatomo-pathologiste ne leur convient pas. Non seulement parce qu’il bouscule sans contredit possible l’heure de la mort, mais aussi parce que l’analyse des divers prélèvements opérés sur Kalinka démontrent que les injections sensées la réanimer ont été faites alors qu’elle était encore vivante.
De fait, la scène décrite par l’accusé selon laquelle il aurait procédé à des injections « alors que Kalinka était déjà froide et rigide », n’a plus aucune crédibilité. Si Dieter Krombach a piqué Kalinka, c’est de son vivant. Et donc avant une heure du matin.
Face à un contradicteur ferme sur des positions scientifiques, établies au contact du matériel d’exploration le plus moderne, les défenseurs de Dieter Krombach vont s’appliquer à contester la qualité des prélèvements organiques mis à la disposition de l’expert français. Et de ferrailler une heure durant autour de « la contamination possible » (éventuelle, plausible, crédible, qu’on ne peut exclure etc… Une heure !) entre les différents échantillons d’organes, susceptibles d’avoir trempé dans le même bain de conservation.
Leur thèse : un organe aurait pu transmettre ses molécules à un autre. En filigrane de cette hypothèse, se dessine l’idée selon laquelle les éléments médicamenteux repérés dans le foie et les poumons viendraient en réalité d’un « effet-buvard » provoqué par la proximité avec un bout de peau « contaminé » par le produit de réanimation injecté le matin.
Cent fois, l’expert a expliqué que non. Que cela était impossible, car les produits dans lesquels ces prélèvements sont plongés « bloquent » toutes les protéines, « qui ne sont ni libérées, ni dissoutes ». « Oui mais… », persistent Mes. Ohayon et Levano, essayant de persuader (les jurés ?) que le laboratoire de médecine légale tenait un peu de l’arrière-cuisine du routier-sympa, où le camembert côtoie la tarte aux pommes, laissant aux convives l’indulgence d’accepter un peu de sucre sur le fromage et une odeur étrange sur le dessert.
Walter Vorhauer finira par perdre son calme. Il est vrai qu’il vient d’être opéré de la hanche et que sa posture à la barre n’est pas des plus confortables. Deux heures et demi debout, dont une à la disposition de Mes. Levano et Ohayon qui ont posé et reposé la même question sous toutes les coutures. Ils finiront par s’entendre répondre : « Je vous vois manœuvrer, votre stratégie est grossière ». Il est probable que l’expert n’a pas été le seul à le remarquer.
A.J-K
Pitoyable
Au regard de la journée d’hier, la question qui pouvait se poser concerne la nature profonde de la débâcle de la médecine légale Allemande.
Est-ce que les impérities, les lacunes avérées qui ont été mises en lumière concernent la seule affaire Kalinka, ou apparaissent-elles de façon récurrente ? Entre les constats les plus élémentaires qui ne sont pas effectués et les prélèvements qui sont égarés, l’ensemble finit par donner une vision grossière de la justice allemande, dont on peine à croire qu’elle fonctionne en permanence sur un mode aussi incongru.
Les débats ont montré que la somme des aberrations aujourd’hui révélées, a conduit à une catastrophe judiciaire assez peu commune dans un pays développé.
André Bamberski pense –c’est son sentiment- que toutes ces extravagances sont limitées à cette seule affaire. C’est tout ce qu’on peut souhaiter au justiciable Allemand dont on peine à croire, sinon avec un brin de commisération et de pitié, qu’il puisse être en permanence confronté à « ça ».
(1) On pourra lire en cliquant sur ce lien, un excellent portrait que lui a consacré « Libération », le 2 novembre dernier :
http://www.liberation.fr/societe/2012/11/02/caroline-rey-salmon-cause-mineurs_857783