Un cœur, un corps, une âme blessés
Pour tenir le programme qu’il s’est fixé, le président a tenu à faire entendre hier le cardiologue qui a expertisé l’accusé Dieter Krombach. Il a ensuite donné lecture du jugement qui a condamné le médecin allemand pour avoir abusé du corps d’une jeune fille. Enfin, André Bamberski a été réentendu sur la perception qu’il a du déroulement des faits. Cette journée aura été marquée par des débats toujours tendus, parfois houleux, et qui ont fini sur un éclat.
Le cœur de l’accusé
Cardiologue expert, le Dr. Michel Bernard a eu en charge d’examiner son homologue Allemand en avril 2011, suite au malaise cardiaque qui avait provoqué l’annulation du « premier procès », ajourné le 7 avril 2011, à l’issue de la sixième journée d’audience.
Dieter Krombach avait, à l’époque, invoqué trois précédents infarctus pour signifier que l’alerte dont il venait d’être victime, était à très haut risque. Le docteur Bernard s’était penché dare-dare sur le mourant… pour constater que nulle trace d’infarctus n’apparaissait à l’examen : « un infarctus laisse une cicatrice très nette. Imaginez trois infarctus ! ». Or, rien n’était visible. Ni à la radio, ni à l’échographie. « Le docteur Krombach est affecté d’une sténose qui a été soignée », a conclu l’expert. Une sténose, c’est un rétrécissement des artères qui alimentent le cœur. Pour réactiver la circulation, on pose une bague, appelée Stent, qui élargit le canal sanguin à l’endroit où l’étranglement s’est produit.
« Dieter Krombach a été Stenté trois fois », a posé l’expert en expliquant que des milliers de gens vivent ainsi. Et de conclure : « ce n’est pas son cœur qui est malade, ce sont ses coronaires qu’il faut surveiller ». En creux : la menace de l’infarctus qui soi-disant le guettait, rapportée à l’existence de ce « syndrome coronarien aigu mais courant », fait du Dr. Krombach au mieux un malade imaginaire, au pire un tricheur.
Cette éventualité assez flagrante a eu le don d’exaspérer les avocats de Dieter Krombach. Pour eux, quand le dossier ne suffit pas à leur raison, ils s’en prennent à l’expert qui le porte. On apparentera de façon toute profane ce comportement à une espèce de trauma, où l’adrénaline semble se mêler à une sorte d’histrionisme malpoli. Ils en paraissent frappés avec une certaine virulence depuis mercredi, et ont fait une récidive hier(1) en accusant le cardiologue d’avoir produit « un mauvais diagnostic ». Ne doutant décidément de rien, Mes. Ohayon et Levano ont menacé l’expert « d’engager sa responsabilité ». « Je suis extrèmement choqué de vos propos », a eu le temps de dire le médecin, avant que le président Hervé Stéphan, visiblement courroucé, suspende l’audience séance tenante.
Le corps de Laura
Passage redouté par la défense de l’accusé qui avait tenté d’en interdire la lecture, le président a ensuite porté à la connaissance des jurés le casier judiciaire allemand de Krombach. Condamné en 2005 pour fraude fiscale (« un oubli », dira-t-il pour justifier des salaires dissimulés au fisc), en 2007 pour escroquerie et infraction à son interdiction d’exercer la médecine (« j’avais besoin d’argent », explique-t-il), ce ne sont pas ces deux passages que la défense redoute. Car en 1997, Dieter Krombach a surtout été condamné à deux ans de prison avec sursis pour « abus sexuel sur personne vulnérable ».
La jeune victime s’appelle Laura Stehle ; elle avait 16 ans. Nous sommes à Lindau et, début 1997, elle se rend au cabinet du Dr. Krombach pour une gastroscopie. Installée sur la table d’examen, elle subit deux piqûres anesthésiantes, l’une au Valium, l’autre au Dormitum(2) . Elle se réveille exceptionnellement mal, s’installe dans un état très vaporeux, proche de l’inertie, et se voit contrainte de rester au cabinet après le départ des infirmières.
On le devine, c’est ce moment que choisit Dieter Krombach pour procéder sur elle à une série de caresses conclues par une pénétration. Sommé de s’expliquer sur cet épisode où la seringue joue encore un rôle que l’on pourra trouver obscur, où l’endormissement de la victime laisse peu de place quant à la crédibilité de son consentement, le docteur Krombach s’embarque sur un radeau balbutiant où il est question de la mort de sa mère, de son divorce, puis du caractère toxicomaniaque de la victime.
Krombach semble alors chercher ses mots comme s’il s’embrouillait, ou comme s’il cherchait à embrouiller. Il finira d’ailleurs par dire que c’est « quelqu’un » qui aurait payé l’adolescente pour subir ses assauts. Cet homme de l’ombre c’est André Bamberski, bien sûr, « parce qu’il est Polonais et que je suis Allemand ».
Quand le président l’interroge pour savoir s’il estime que la peine à laquelle il a été condamné est « juste » : « Pas du tout, répond Krombach, c’est mon adversaire qui a fabriqué les preuves qui lui manquaient ».
Le docteur Krombach attendra patiemment que ses avocats lui tendent les rames. Il finira par dire qu’il admet avoir commis « une faute » et que, finalement, la sanction est « juste ». Mais à peine la défense croit-t-elle avoir atteint l’autre rive que Krombach insiste : « elle était consentante ».
Grâce au Valium ou au Dormitum ?
L’âme du combat d’André Bamberski
Appelé ensuite à la barre, André Bamberski est prié d’évoquer la période qui a suivi le décès de Kalinka. Pour lui, cet épisode a duré trente ans. Autant dire que le résumé est proportionnel aux vicissitudes rencontrées tout au long d’un parcours qui a abouti à la comparution de l’accusé.
Le père de Kalinka raconte aux jurés tous les barrages, les contretemps, les fausses promesses, les dérobades qui ont empesé non seulement le temps de la procédure, mais la procédure elle-même : « si en 1982, la justice allemande avait fait son travail, nous n’en serions pas là ». Et comme forme d’excuse à ce récit complexe, il résume : « Après tout, l’affaire est simple : ma fille est morte après une injection de produits. Je pense qu’il y a eu viol. Maintenant, je veux la justice, je n’ai jamais voulu que ça ».
Interrogé par une avocate pour savoir s’il menait son combat pour Kalinka ou contre Dieter Krombach, André Bamberski pose le principe qui l’anime : « Je ne veux rien d’autre que la justice. C’est pour moi un devoir moral, ancré dans ma nature profonde ». Et, plus loin, de poursuivre : « Comme beaucoup de gens qui ont peut-être raison j’aurais pu dire « la vie continue », mais ce n’est pas dans ma nature. J’ai pris tous les risques, y compris celui de l’acquittement de l’accusé ».
Plus loin, un accrochage a lieu entre André Bamberski et l’avocat de Mme. Gonnin. Un échange bref, mais si violent que le président suspend l’audience pour calmer les esprits. Quand le cours du débat reprend, Me. Lévano, un des avocats de Krombach, a la parole. Il s’interroge sur le fait de savoir pourquoi, en 1982, le père de Kalinka s’inquiétait de la seule piqûre de fer donnée à Kalinka : « parce qu’on ne parlait pas de Frisium à l’époque ». L’avocat campe sur ce détail et y maintient André Bamberski qui oublie au passage de rappeler que les seules expertises dignes de ce nom qui ont livré toute la pharmacopée présente dans le corps de Kalinka, sont arrivées en 2010 dans le dossier. Mais ce n’est sans doute qu’un sursis car les débats sont loin d’être clos.
Aujourd’hui, on devrait réentendre Danielle Gonnin, qui va raconter à son tour l’après-décès de Kalinka. Au regard de l’état de tension qui imprègne le prétoire depuis mercredi, il faut espérer que la nuit aura été profitable à tous les protagonistes.
A.J-K
Le consentement de Laura Stehle
Voici la transcription (à peu près) intégrale de la première déclaration de Dieter Krombach à qui le président vient de demander « qu’avez-vous à dire ?» concernant la lecture de la condamnation pour « abus sexuel sur personne vulnérable » :
« Mensonge ! (silence) Ma mère venait de décéder deux mois avant. Je venais de divorcer de la mère de Katia. Elle a pris des personnes des pays de l’Est. La fille était droguée, elle a dit qu’elle avait déjà fait l’amour… (suit une série de phrases difficilement compréhensibles)
« Elle me disait qu’elle ne voulait pas partir. Elle a attendu que mes employées soient sorties. J’ai voulu la mettre dehors, mais elle tenait à rester. J’ai appelé ses parents qui n’ont pas voulu venir. J’étais seul avec elle, elle était consentante. C’est elle qui est venue vers moi et m’a mis la tête sur l’épaule. J’étais pressé de partir. J’avais le pressentiment qu’elle voulait de l’argent ou du sexe. C’était la seule façon de me libérer. Elle s’est déshabillée toute seule.
« Après, j’ai compris qu’elle voulait de l’argent. Je ne lui en ai pas donné, mais je l’ai raccompagnée chez elle. Je jure que c’est la vérité.
« Plus tard, j’ai appris qu’elle avait tout raconté à une cousine, qui en a parlé à sa mère… et la police est venue. Je jure que je ne l’ai pas violée. Elle le voulait et je me suis laissé persuader. Ca a l’air inventé, mais c’est la vérité.
« Après avoir réfléchi, je pense qu’elle a été payée par mon adversaire, parce qu’il est Polonais et que je suis Allemand ».
(1) La veille, ils s’étaient attaqués à l’expert anesthésiste. Voir la chronique du 12 décembre
(2) Transcription phonétique, sans garantie d’exactitude