L’instruction à l’audience est (presque) terminée
La journée d’hier aura été celle des absents. La Cour a lu les dépositions des témoins n’ayant pu –ou voulu- se déplacer. Les débats sont apparus un peu atones au regard des emballements de la semaine dernière ; cependant, chacun a mis à profit ce faux répit pour préparer l’ultime affrontement. Car, hormis quelques questions encore en suspens, l’instruction à l’audience est terminée. Aujourd’hui sont attendues les premières plaidoiries.
La journée des absents
Le magistrat dit « de liaison » diligenté par l’Allemagne a pour mission officielle d’intercéder auprès de la justice française pour faciliter ses relations avec ses homologues d’Outre-Rhin ; sa mission officieuse est de les tenir au courant de l’avancée du dossier.
Depuis 2010, le poste a été confié à Suzanne Madrich. Elle fut la seule des témoins espérés à la barre, à daigner se présenter. Au regard de ce qu’elle a consenti à dire, on peut sans trop s’engager, admettre qu’elle a été la première des absentes. En quinze minutes chrono, elle a daigné décliner son identité, pour expliquer ensuite qu’elle a avait le droit de ne rien dire, pas même pour venir en aide aux avocats de la défense de Dieter Krombach qui, trois jours plus tôt, criaient au scandale quand le président et André Bamberski suggéraient que sa présence n’avait rien de fondamental. L’éventuel refus de l’entendre aurait été ressenti, avaient-ils juré, tonné, pesté, comme « une atteinte aux droits fondamentaux de la défense ». Rien moins. Hier, devant ce mur, ils ont battu en retraite à la seconde question.
Le peu d’énergie du témoin, ajouté à son manque évident de coopération laisse malgré tout le sentiment diffus que l’Allemagne a comme jeté l’éponge pour affronter la France sur le cas de ce citoyen.
Ambiance autour de Krombach
Comme le veut la procédure, les parties en lice peuvent demander au président de lire soit les dépositions des personnes qui n’ont pas répondu à leur convocation, d’une part, soit, d’autre part, des documents divers réunis au cours de l’enquête. Une seule condition : tous doivent faire partie du dossier qui est équitablement remis à chacun.
On a d’abord lu la déposition de Johana Mauer, la sœur de Svenia, qui était venue raconter comment, dans le courant de l’année 1985, Krombach leur avait « offert » un voyage en Camargue tout d’abord, un autre à Londres, ensuite. Sans surprise, la déposition fait état des sempiternelles piqûres, préalables à la mise en état des « patientes » qui, ensuite ont tout oublié ou presque.
D’autres expériences de ce type ornent le dossier de la même rengaine. On les a lues également. Dieter Krombach, promu « spécialiste de la méthadone(1) » ce dont nul de doute, quand on sait que le produit était alors administré au moyen d’une seringue. Il aurait ainsi exercé sa trop fameuse compétence sur Nicole L-M. et Barbara F. qui venaient soit le soir, soit à la pause déjeuner, dans un cabinet vide, pour recevoir leur « sevrage ». Toutes deux se plaignent de s’être senties « dans l’incapacité de résister » après leur piqûre et contraintes de faire une fellation. Billevesées, répond en substance Krombach : « je déteste ça ».
Des réserves pour plaider
Plus intéressants, peut-être étaient deux documents joints au dossier. Le premier, c’est la déposition que l’accusé a faite par écrit au policier qui n’a pas pris la peine de venir le voir, et lui a posé quelques questions par téléphone. Nous étions en 1983. Ce « procès-verbal » d’un genre un peu particulier pourrait paraitre un peu vieillot. Cependant, il y avait moins d’un an que Kalinka était morte, et sans doute la mémoire du docteur Krombach était-elle un peu plus vive qu’aujourd’hui.
Quand on compare cette déclaration à celles qu’il a faites à l’audience, on retrouve quelques contradictions et autres oublis de poids. Ainsi, à l’époque, il se souvient que Kalinka était si lourde qu’il n’avait pu la descendre de son lit, alors qu’il a dit le contraire lors des deux procès. Il parle d’un électrocardiogramme… qui n’a vraisemblablement jamais eu lieu. Il ne dit pas avoir fait un massage cardiaque alors qu’il dit s’y être essayé. Idem sur l’administration du Frisium dont il disait à l’époque en avoir pris un lui-même.
On a ensuite évoqué sa fin de carrière. Après qu’en 2006, suite à une condamnation qui lui interdit d’exercer, il se fabrique un faux certificat pour travailler dans diverses cliniques ou effectuer des remplacements. A chaque fois, il se fait virer sans autre forme de procès car les infirmières se plaignent : ce ne sont plus des piqûres qu’il administre, mais des caresses sur les seins.
Pour autant, la Cour est là pour juger les circonstances du décès de Kalinka. On a parfois le sentiment de s’éloigner du sujet véritable du procès. Bien sûr, ces événements rapportés éclairent crûment la personnalité de l’accusé ; pour autant, il est probable que ce qu’ils ont déjà vu des débats quinze journées durant, a sans doute suffi à forger leur sentiment quant à la personne qu’ils ont à juger.
Un peu plus tard, la défense a brandi une expertise dont elle jurait qu’elle allait bouleverser le dossier. On en retiendra que ce fameux rapport qui a été réclamé avec la dernière énergie se conclut sur un épilogue fracassant. L’expert qui devait renverser le cours des choses clos son propos sur un prudent : « toutes les causes non naturelles du décès, ni toutes les causes naturelles, ne peuvent être exclues ». Merci de n’être pas venu.
Kalinka, pleine d’espoir
En toute fin d’audience, la Cour a procédé à la lecture de quelques pages du journal intime de Kalinka. Des lignes écrites quelques jours avant sa mort.
On y découvre une adolescente pétillante, toujours prompte à s’emballer pour des conquêtes, des rencontres, à la fois grave et futile, mais toujours pleine de raison. A la lecture de ses lignes, elle a prêté à la salle des yeux grands ouverts sur un monde qui n’avait de cesse de l’émerveiller et de l’enthousiasmer.
C’est pour sa mémoire que la Cour s’est réunie, pour dire que s’il y a eu faute contre cette enfant qui parlait de futur, ce fut un crime que de casser la branche qui portait tant de fleurs.
A.J-K
Et maintenant ?
Le Président a jugé hier terminée la phase dite « d’instruction à l’audience ».
« L’instruction à l’audience », consiste en un débat ouvert autour des témoins, (ou de leurs déclarations), où toutes les parties peuvent poser des questions, toutes les questions, autour du propos qui vient d’être rapporté. C’est une phase « active », où le débat a lieu « à charge et à décharge », c’est-à-dire que tant la défense, que les parties civiles, l’avocat général et la Cour peuvent, au besoin, aller jusqu’à « cuisiner » le témoin. C’est la phase que nous venons de traverser, où personne ne se fait de cadeau, dans le but évident de ranger les jurés à ses convictions.
Nous entrons maintenant dans la phase des plaidoiries. En clair, il n’y a plus débat mais échange de conclusions. Bien sûr, ces conclusions ne sont pas neutres. Elles sont argumentées à l’aune de l’interprétation des débats faite par la personne qui plaide. Là encore le but ultime du plaideur est de convaincre les jurés que sa vision du dossier est la bonne.
Aujourd’hui, dès la reprise des débats, nous devrions entendre Me. Alexandre Parra-Bruguière (barreau de Toulouse) pour la partie civile constituée par Danielle Gonnin. Viendront ensuite Me. Louise Tort, Karine Puret et Adrien Mamère (Paris) pour Diana et Boris Krombach. Ce qui devrait suffire à la journée -mais ce n’est qu’un pronostic.
Ensuite, probablement mercredi, André Bamberski, qui a choisi de plaider seul défendra ses certitudes et la mémoire de sa fille. Après lui, l’avocat général Jean-Paul Content, déposera des réquisitions « au nom du peuple Français », et demandera une peine.
Si tout va bien Mes. Yves Levano et Philippe Ohayon (Paris) auront la charge de défendre Dieter Krombach. Dans le meilleur des cas, le verdict pourrait être rendu jeudi –mais ce n’est encore une fois qu’un pronostic.
(1) Un substitut à l’héroïne utilisé pour sevrer les toxicomanes