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Justice pour Kalinka


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Dix-septième journée d’audience
Le verdict sera connu aujourd’hui

De quinze à dix-huit ans de réclusion, requis contre Krombach

L’avocat général Jean-Paul Content estime qu’il n’y a pas eu « meurtre », mais « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner ». En outre, l’autorité de Dieter Krombach sur Kalinka Bamberski, d’une part, et d’autre part le fait qu’elle avait moins de quinze ans au moment de son décès, constituent des « circonstances aggravantes ».
La défense, pour sa part, s’est engouffrée dans les faiblesses et les contradictions qu’elle a décelées dans les nombreuses expertises, pour faire valoir « les doutes, incertitudes et antinomies », qui doivent profiter à l’accusé et justifier ainsi son acquittement.

Un hommage et « un dossier mal parti »
Jean-Paul Content a engagé son réquisitoire à 10 heures presque pile, en lançant un vibrant hommage à André Bamberski qui « pendant trente ans a poursuivi un idéal de justice basé sur des valeurs ». « Le combat est juste et la cause est noble » a-t-il poursuivi, alors qu’André Bamberski séchait ses pleurs après que l’avocat général eut récité, d’un ton poignant, « Demain dès l’aube » un poème de Victor Hugo qu’il estimait –à juste titre- résumer la douleur solitaire et bouleversante d’un père orphelin de sa fille.
Cependant, la justice ne se concède que fort rarement des écarts envers la poésie. C’est avec une virulence non dissimulée que l’accusation qu’il défend, s’est engouffrée dans le dossier.
D’abord, il a pourfendu l’attitude de l’Allemagne « qui n’a pas été un pays ami dans cette affaire ». Les errements entretenus de l’autopsie, de l’enquête, du suivi de la procédure : « à chaque étape les Allemands ont fourni des non-réponses et s’en sont contentés, entretenant en cela le soupçon ». Cependant, dit-il aux jurés « en dépit de ces manques entretenus, il y a malgré tout dans le dossier des éléments qui vous permettront de prendre une décision ».
Alors, méticuleusement, Jean-Paul Content passe au laminoir de son verbe abrasif, tous les points qui ont fait débat. Il entreprend d’éclairer ceux qui portent encore une part d’ombre, et s’applique à baliser les voies par lesquelles, il le sait, la défense tentera tout à l’heure de se frayer un passage.
D’abord, il balaie d’un revers de manche la partie civile de ceux qu’il appelle « les enfants Krombach(1) » : « une duperie, un monumental détournement de procédure », rage-t-il en soulignant qu’andré Bamberski et Danielle Gonnin sont « les deux seules vraies parties civiles ». Il entre ensuite dans les premières heures après la découverte du corps sans vie de Kalinka, au matin du 10 juillet 1982. Il explique que « quand dès le départ ont fait des fautes, ces fautes poursuivent le dossier tout au long de son cheminement ». Des fautes, il en pointe : le corps de Kalinka emporté contre toutes les règles, à l’hôpital et non pas à l’institut médico-légal, la police qui n’est avertie qu’à contretemps, le médecin urgentiste qui croit le docteur Krombach sans vérifier ses dires. La présence encore de Krombach, dans l’antichambre de la salle d’autopsie. « On a dit que le docteur Krombach avait usé de son influence. Il n’a pas eu à exercer de pression. Dans une petite ville de 25.000 habitants, sa seule notoriété était déjà un facteur d’influence ! Il était le médecin honorablement connu dont personne n’aurait osé remettre la parole en doute ».

Incurie, aberrations et violence sexuelle
Il fallait bien sûr ensuite entrer dans « le ventre » du dossier. Commencer, comme il se doit, par l’autopsie de la jeune victime. Autopsie qui ne relève même pas si Kalinka était vierge alors même qu’on découvre des « substances blanchâtres » dans son intimité : « c’est une aberration », s’indigne-t-il. Le sang cardiaque qui disparait. L’utérus, prélevé ainsi que l’appareil génital externe, disparus également : « ce n’est pas une autopsie, c’est une incurie ! ». Il n’a pas de mots assez durs pour dénoncer « l’impéritie » de ces erreurs manifestes : « c’est un travail indigne ! », conclut-t-il.
Sans s’arrêter dans son travail de sape, il balaie toutes les versions, « les explications à géométrie variable » que fournit Krombach pour tenter d’expliquer les dernières heures de sa belle-fille. Le coup de soleil, un choc crânien dix ans plus tôt, le fer. Il signale aussi que Krombach « se souvient avoir donné du Frisium quand il comprend qu’on va analyser le sang de Kalinka et qu’on va en trouver trace ». Et il insiste, souligne que Krombach a varié dans les doses possiblement administrées : « Pourquoi ? Parce que le Frisium c’est la clé de cette affaire ! », tonne-t-il. C’est à cause du Frisium que Kalinka va subir une narcose, un état proche du coma qui va provoquer les régurgitations avec lesquelles l’adolescente va s’étouffer.
Sabre au clair. Jean-Paul Content est le faucheur lancé dans un champ de mauvaises herbes. Il rase tout ce qui exaspère l’évidence qu’il a sous les yeux . Il défend avec âpreté les contre-expertises médico-légales effectuées en France, qui accablent Krombach, mais dont il sait qu’elles seront combattues par la défense de l’accusé.
Il s’applique à une rigueur d’autant plus méticuleuse que c’est là le grand point de controverse… puisque les légistes Allemands ont soit négligé, soit proposé une autre lecture des prélèvements effectués : « rappelez-vous que les techniques ont évolué. Quand les français interviennent en 2010, ils font des découvertes, non par supériorité sur leurs homologues, mais parce que les outils d’aujourd’hui sont plus performants, moins faillibles ».
Enfin, après avoir fait place nette, il en vient à ce qui constitue pour lui, le point névralgique de l’affaire : « ce dossier baigne dans un climat de violence sexuelle ».

Faire tenir l’accusation
L’avocat général propose un scénario : « Kalinka va partir en France dans quelques jours. Elle est jolie, attirante et lui, il aime les jeunes filles en fleur. Ce soir-là, il est seul dans la maison endormie. Sa fille et son fils sont sortis, sa femme et son beau-fils dorment à l’étage. Kalinka se plaint d’un mal de tête, il lui donne un comprimé de Frisium. Le cachet fait rapidement effet et Krombach tente d’abuser de sa belle-fille comme il l’a fait avec d’autres. Ces attouchements vont provoquer un réflexe vomitif sur Kalinka qui alors s’étouffe. Krombach panique, tente une réanimation que les experts jugeront grotesque. Mais c’est trop tard. Il attend le matin pour feindre découvrir l’irrémédiable qu’il vient de provoquer ».
Cependant, Jean-Paul Content se doit d’expliquer aux jurés que « même s’il constitue le mobile le plus vraisemblable, le viol n’est pas prouvé ». Il ne requerra donc pas en ce sens. Il ne peut pas non plus requérir une erreur médicale puisque Dieter Krombach n’est pas ici en position de médecin. Il ne croit pas non plus que Krombach a intentionnellement donné la mort à Kalinka. En revanche, l’administration du Frisium ajoutée à ce qu’il nomme « la pseudo-réanimation » constituent des « violences volontaires ». La mort a été donnée sans intention. Par ailleurs, le fait que Kalinka soit mineure de 15 ans, doublé de l’autorité morale dont jouit alors Krombach sur celle qui est sa belle-fille, constituent « des circonstances aggravantes qui justifient une peine de quinze à dix-huit ans de réclusion criminelle ». Il a repris les positions soutenues par son prédécesseur lors du premier procès, en novembre 2011, mais demande plus de sévérité aux jurés. « Ce n’est pas facile de condamner ainsi un homme de soixante-dix-sept ans, mais il n’a jamais assumé », explique-t-il, « il n’y a jamais dans sa bouche ni remords, ni regrets. Lui, il a profité de la vie, Kalinka, non ».

Pour la défense, les expertises sont douteuses
Me. Yves Levano prend la parole en premier. L’avocat de Dieter Krombach connait son dossier. Il ne va donc pas s’embarrasser des horaires qui fâchent, ni d’un éventuel contexte sexuel : « Dieter Krombach n’est pas là pour ça », rappelle-t-il pour cadrer le débat sur les prises que le dossier lui offre. En l’occurrence, il s’agit des contradictions qui rendent si fragiles les expertises, si sujettes à cautions et, ou, à interprétation.
Il signale aux jurés quelques erreurs judiciaires où les experts ont eu, bien sûr, le mauvais rôle. Et après avoir épluché ce qui, dans le dossier Krombach laisse encore planer des doutes, il s’applique à pourfendre les expertises effectuées par les différents experts français qu’il met en regard des conclusions tirées par leurs homologues allemands. « On ne voit que des contradictions. Nul ne peut dire qui a raison. Dans ce dossier, il n’y a que des possibilités. Il n’y a pas de vérité judiciaire, il n’y a pas de vérité scientifique ».
Bien sûr, « il ne faut pas tenir compte du contexte des rumeurs qui entourent le docteur Krombach », quant à sa passion prolixe pour les jeunes filles. Il répète que « ce n’est pas de cela dont il est ici question ». Certes. Ainsi, au nom de cet ensemble de doutes, il prie les jurés de bien vouloir « dire à Danielle Krombach qu’elle ne s’est pas trompée pendant vingt-huit ans ». Voilà qui, au regard de ses déclarations, a dû la réconforter.
Son confrère et co-défenseur de l’accusé, Me. Philippe Ohayon va justement s’appliquer à travailler ce contexte. Il estime d’abord qu’André Bamberski « veut se servir des jurés pour conduire Krombach à la mort » et dénonce pêle-mêle « l’impérialisme judiciaire français », « des experts qui se sont battus comme ils se battent pour une fissure au plafond », « l’expert Pourriat qui se Bamberskinise (sic) »….
Enfin, dans sa démonstration, il ne pouvait faire l’économie de passer par la vie sexuelle de Dieter Krombach. Faute de pouvoir nier son penchant pour les jeunes filles, il s’est appliqué à dénier leur parole. En substance, le témoignage fort embarrassant de Svenia Mauer a subi une étrange mutation. En clair, si elle n’est pas exactement malade mentalement, elle n’en serait pas loin. Il n’a pas le mot exact mais la pathologie pourrait avoir pour symptôme au mieux l’exagération, au pire, la mythomanie. Quant à Laura Stehle, la jeune fille qui a fait condamner Krombach en Allemagne pour ce qui, en France, eut été qualifié de viol, il propose cette adaptation savoureuse : « elle était sous sédatif, mais consentante ».
Pour lui, condamner Krombach, c’est faire allégeance à un mystérieux « consortium des juges », lesquels seraient les petites mains d’un travail obscur mais édifiant à l’encontre de l’accusé : « on veut le faire crever, crever, crever ! ». « C’est un vieillard », reprend-t-il, et livre cet ultime argument qui pourra apparaitre un peu antinomique : « c’est dur de l’acquitter, mais l’accusation est un champ de ruines ». Bien sûr, il rappelle que le doute doit profiter à l’accusé, et demande alors l’acquittement en citant René Char : « La lucidité est la blessure la plus proche du soleil ». On sait depuis peu que le Kobalt Ferrlecit n’est pas recommandé en cas d’exposition prolongée.

A.J-K



Et maintenant ?
Comme d’usage, ce matin à la reprise des débats, l’accusé Dieter Krombach aura la parole en dernier. Le président lira ensuite les dispositions préalables aux délibérations du jury, qui se retirera pour un temps, par nature indéterminé.
Le verdict sera donné quand une décision sera prise.


Ci-dessous, le poème par lequel l’avocat général a ouvert son réquisitoire :

Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends.
J'irai par la forêt, j'irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.

Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.

Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.

Victor Hugo


(1) Diana et Boris Krombach, constitués partie civile en cours d’audience pendant le premier procès, représentés par trois avocats qui ne croient pas à la thèse de l’accusation et se rapprochent des positions de Krombach.


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