Le procès reste aux marges
La journée dhier a été marquée par la présence à la barre de Danielle Gonnin.
La journée dhier était attendue. Ou plus exactement, on attendait le passage de Danielle Gonnin, qui réunit cette quadruple particularité dêtre à la fois lex-Madame Bamberski, lex-Madame Krombach, la mère de Kalinka, et silencieuse depuis vingt-huit ans. Si lon ajoute à cette liste déjà longue, quelle fut également présente sur les lieux au matin du drame, il était légitime de voir en elle un témoin-clé, propre à écrire une de ces pages qui finissent en librairie sous le label « les grandes heures de la cour dassises ». Nenni.
Gangréné par les défections de témoins, appesanti par des dépositions déjà longues que les avocats alourdissent encore avec des questions dont on peine parfois à voir lutilité, suspendu aussi aux coups de fatigue de laccusé qui ne néglige jamais sa pause, le procès donne limpression derrer entre les étapes du « planning » que la présidente Xavière Siméoni tente vaille que vaille, de respecter. Sachant que ledit planning est reconsidéré à peu près toutes les demi-journées, les acteurs et le public ont au moins compris quils ont tous les jours rendez-vous avec un changement de dernière minute.
Pour autant, il serait cruel de dire que Xavière Siméoni, na pas de cap. Au contraire. Elle le répète, elle sy tient avec les scrupules dun arbitre qui demanderait aux joueurs de repeindre les lignes du terrain avant dengager la partie : elle ne tient pas encore à aborder lexamen des faits, le réservant pour la semaine prochaine.
Elle exige le strict respect de cette volonté. Visiblement, elle veut traiter de façon exclusive le seul dossier de la mort de Kalinka. Dans cette attente, elle semble vouloir faire table rase de tout ce qui pourrait venir gripper la machine que, selon toute vraisemblance, elle a décidé de lancer à partir de lundi.
Danielle Gonnin « il ma toujours trompée »
Selon son avocat, Me Alexandre Bruguière, deux jours quelle ne dormait plus. Cest en tremblant que Danielle Gonnin sest approchée de la barre. Elle a le cheveu poivre et blond parsemé de sel, hâtivement noué en chignon. Vêtue dune tunique sombre portée sur un pantalon, elle franchit sans quitter son avocat, les trois ou quatre mètres qui, depuis le début de laudience, la séparent de la barre.
Serrant de près le fameux « planning » quelle déconstruira tout à lheure, la présidente lui rappelle la consigne : « rien sur les faits. Aujourdhui, la cour vous entend uniquement sur ce que vous avez à nous dire de Dieter Krombach, et sur la vie que vous avez partagée ensemble ».
Visiblement, Danielle Gonnin surmonte ses peurs. Après un temps dhésitation, elle ne se départit plus dune voix claire, presque douce, un peu monocorde peut-être, en tout cas sans effets daccents qui trahiraient une émotion autre que cet abattement un peu las et sans colère.
Alors, elle déplie un bout de sa vie à elle, qui est aussi un peu de sa vie à lui, dans le box, qui lécoute immobile, sans la lâcher des yeux : « Dieter était un homme qui plaisait aux femmes. Il savait leur parler. Très intelligent », commence-t-elle. Elle dit son admiration sans pour autant se confire dans la béatitude. Elle a ses bémols : « Il est charmeur. Il est coureur ».
Et de poursuivre sur le même registre partagé entre onction et épines : « Cétait un homme toujours en mouvement. Voyages, sorties
il ne savait pas rester en place. Il était généreux, et grillait tout son argent dans des folies, des cadeaux extravagants pour moi ou pour les enfants. Il vivait au jour le jour et voulait toujours « le plus ». Je crois quil cherchait les limites. Linterdit lattirait. Oui, il aime linterdit jusquà la transgression ».
« Quand il voulait quelque chose, rien ne pouvait larrêter », ajoute-t-elle en avouant, sans préciser si elle en conçoit un peu de dépit, que cest peut-être pour cela quil la séduite. « Il aurait pu avoir toutes les femmes. Je pense quil ma choisie surtout parce que jétais mariée, je représentais une difficulté supplémentaire dans le défi de conquête quil sétait lancé ».
Puis, la rupture avec André Bamberski, linstallation en Allemagne, à Lindau où elle devient son assistante au cabinet médical. Elle pourrait déplier une image du bonheur
sil ny avait eu ce toujours même nuage qui a laissé son ciel « presque » bleu : « il me trompait ».
« Venue pour la vérité »
Dans une cour dassises, les souvenirs des uns, ne suffisent pas à la parfaite compréhension de ce quattendent les autres.
Danielle Gonnin le sait, mais la présidente le lui rappelle :
- « Au regard des conquêtes de Krombach dont vous avez eu connaissance, direz-vous quil avait un faible pour les jeunes filles ? »
Elle ne dit pas oui, elle ne dit pas non ; elle préfère se souvenir dIsabelle de Placido :
- « Elle avait seize ans, lui quarante-cinq ».
- « Mais encore ? », lencourage la juge
- « Je pense que cest lattrait de linterdit qui lamène vers les jeunes filles ».
- « Aujourdhui, quéprouvez-vous pour Dieter Krombach ? »
- « Je lai connu jeune. Je le vois ici, je ne le reconnais plus. Jai de la pitié de le voir comme ça ».
- « On vous a reproché votre silence, votre absence, même. Quavez-vous à dire ? »
- « Jai eu du mal à tirer un trait sur cette affaire. Il y a un peu moins de deux ans à peine, cest la juge dinstruction qui ma ouvert les yeux et fait comprendre la nécessité de regarder le dossier. Je suis venue pour la vérité. Je veux maintenant savoir ce qui sest passé. Ça fait vingt-neuf ans que ça dure, ça suffit. Si ce nest pas lui, quil le prouve. Si cest lui, quon le prouve et quil paye. Mais, maintenant, il faut quon sache ».
Krombach, modeste mythomane
Planning en dents de scie oblige, la cour se devait également de revenir sur le « curriculum viate » de Dieter Krombach, abandonné mercredi en fin daudience pour cause de fatigue.
Krombach poursuit son exposé de la veille et joue les modestes : non, il ne savait pas quil plaisait aux femmes (« je ne me regarde pas dans la glace »). Krombach fréquente les terrains daviation, les pistes de ski, les haras, mais aussi les albums de timbres et les philosophes. Il fuit lalcool et le tabac.
Pas dupe, Xavière Siméoni le ramène vers lépisode où on avait laissé son audition hier : le viol dune jeune patiente de seize ans en 1997. On sent Krombach ennuyé avec cet accroc qui ôte un peu de lustre à lautoportrait quil sapplique à dresser. Après avoir tenté lévitement, il part dans lemphase amphigourique :
- « Un viol ? Non, ce nest pas vrai, jai appris quelle avait touché de largent pour se donner à moi ».
- « Mais vous avez été puni, pour cela », lui rappelle la présidente
- « Condamné à deux ans dinterdiction dexercer »
- « Cest tout ? »
- « Je ne me souviens pas »
- « Diriez-vous que vous avez une attirance sexuelle pour les jeunes filles ? », sinquiète Xavière Siméoni avec des mines de celle qui accepte de finir la partie sans changer de terrain.
- « Non ».
Comme on la vu, le mieux est parfois lennemi du bien. Krombach confirme le dicton à sa
façon. Pour prouver sa bonne foi, il se lance : « Un groupe mavait envoyé trois jeunes femmes, jai refusé ». Et de senferrer dans une histoire invraisemblable de gens du voyage qui lui auraient adressé des jeunes filles dans le seul but de se faire faire un enfant
Mieux valait arrêter. Dailleurs Krombach choisit cet instant pour signaler une petite faiblesse. « Je suis fatigué, vous comprenez ».
On comprend.
A.J-K
Un inspecteur-gadget
La cour a entendu hier Klaus Gebath, linspecteur de Lindau qui est intervenu, un peu tardivement, sur le décès de Kalinka. Trois longues heures à peu près inutiles sinon pour apprendre et ne pas comprendre pourquoi la police na pas été avertie dès linstant de la découverte du corps.
Pourquoi linspecteur attendra deux jours avant davertir le parquet dont il dépend.
Pour lui, si lon comprend bien, la mort de Kalinka navait rien dexceptionnel. Une mort naturelle « comme il en arrive même aux adolescents ». Linquiétude ne la donc pas étreint malgré quelques doutes visiblement vites dissipés. La présence de Krombach aux portes de la salle dautopsie ? « Il connaissait le légiste, normal, pour un médecin ». La disparition des prélèvements organiques effectués sur la défunte ? « Ce nest pas à la police de soccuper de leur conservation ».
Bref, on apprendra peu de cet inspecteur qui porte les costumes et la désinvolture de Derrick avec plus de sympathie, certes, mais en donnant au spectateur le même sentiment dune insondable perte de temps.
|
Haine : André Bamberski a redemandé la parole hier pour sindigner. Le matin, lors de sa déposition, Danielle Gonnin avait conclu « entre M. Krombach et M. Bamberski, il y a de la haine. Je crois que M. Bamberski me hait aussi ». Mécontent, André Bamberski a tenu à protester solennellement : « Je nai pas de sentiment de haine envers Mme. Gonnin. Je nai attaqué personne ici, ni dailleurs fait montre dun quelconque sentiment envers qui que ce soit. Je voudrais que pendant ce procès les questions de personnes nentrent pas en ligne de compte, et que nous restions sur notre sujet : la mort de Kalinka. Le reste na pas à entrer en considération ».
Nicolas : Ce matin, vendredi 1er avril, la cour devrait entendre Nicolas Bamberski
pourtant prévu pour se présenter la veille. La présidente attend également ou plus exactement espère- quau moins un des médecins ayant examiné Kalinka consente à venir. La greffière et lhuissier du tribunal sont mobilisés autour dun téléphone pour tenter détablir un contact qui, jeudi soir encore, se révélait très difficile.
|