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Justice pour Kalinka


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Quatrième journée :
Une piqûre au cœur des débats

Le docteur piégé par la médecine
Les coups de boutoir de l’expert en pharmacologie affaiblissent Krombach.

Le cheveu blanc comme neige prolongé d’une fine barbichette encadre un visage patelin. Tout sourire, le docteur Peter Schonhofer a la tête du grand père qui illustre les contes pour enfants. Mais il est expert. En pharmacologie.
Il a daigné, lui, se déplacer depuis Munich pour dire tout ce qu’il sait sur le Kobalt-Ferrlecit, le seul produit qui, selon le docteur Krombach, a eu raison de la vie de Kalinka, aux alentours de 3 heures du matin dans la nuit fatale du 9 au 10 juillet 1982. « C’est faux », a tranché l’expert aux airs bonhomme : « ni le médicament utilisé seul, ni l’heure invoquée ne sont crédibles ».

Une démonstration implacable
Il a l’âge du docteur Krombach, et il exerce encore sa spécialité au sein de l’administration allemande appelée à délivrer –ou retirer- les autorisations aux médicaments qui composent la pharmacopée de nos voisins.
Il explique d’emblée qu’il a travaillé de longues années sur le Kobalt-Ferrlecit injectable, « un solution qu’un médecin raisonnable ne prescrit jamais », et qui a d’ailleurs été retiré des pharmacies allemandes en 1989. Déjà, en 1982, ce produit était considéré comme « appartenant à une vieille école de la médecine ».
Sentant qu’enfin on allait sortir de la langue de bois judiciaire, la présidente saisit l’occasion qui est donnée au procès de se lancer enfin :
- « Est-ce que ce produit pouvait être prescrit pour anémie à une jeune fille de quatorze ans ? »
- « Non. Enfin, c’eut été hasardeux »
- « Et pour accélérer le bronzage ? »
- « Certainement pas ».
Rappelons que le docteur Krombach avait pêle-mêle invoqué une anémie et le désir de bronzer plus vite manifesté par Kalinka, pour justifier la fameuse piqûre qui fait l’objet du débat.
Mais ce n’est pas le problème du docteur Schonhofer. Lui, il est venu à Paris pour faire sa leçon sur le Kobalt-Ferrlecit : « Ce médicament est connu pour ses effets indésirables. Surtout en injection intraveineuse. On ne peut le préconiser qu’en cas d’extrême limite, quand on s’est d’abord assuré que le patient ne peut pas l’ingérer par voie orale ».
Puis, informé que le docteur Krombach estime « aux alentours de trois heures du matin », le décès de Kalinka suite à une injection faite aux alentours de 20 h 30 : « Ce n’est pas possible. Cette enfant a perdu la vie avant minuit tranche-t-il ».

Pas de bol pour Dieter Krombach
Pour préciser son estimation de l’heure de la mort de Kalinka, Peter Schonhofer ne fait pas appel au pharmacologue qu’il est, il rappelle une donnée basique de l’expertise légale.
Il faut certes un minimum de démonstration, mais il a le talent pour la rendre accessible :
- « Le décès de Kalinka est consécutif à un étouffement provoqué par une régurgitation d’aliments. Or, pour régurgiter des aliments, il faut en avoir dans l’estomac. Ce résidu est appelé « le bol alimentaire ». On sait que, quatre heures après le repas, le bol alimentaire est vide. Si Kalinka a dîné aux alentours de 20 heures, elle est donc morte avant minuit ».

Mais le docteur Peter Schonhofer va plus avant dans son expertise :
- « Une personne qui meurt étouffée par une régurgitation est déjà en état de coma avancé. En effet, si le sommeil est normal, la « fausse route » qui consiste à faire entrer un corps solide dans les poumons, entraîne un réflexe : la personne se réveille, tousse, souffre certes, mais ne meurt pas. Seul le coma peut abolir le réflexe . C’est pourquoi je dis que Kalinka est décédée dans les minutes qui ont suivi l’injection ».

Depuis son box, Dieter Krombach scrute son « confrère ». Il se tait.
L’occasion était pourtant belle pour le médecin de défendre sa position en homme de l’art, de quitter ses oripeaux d’accusé incompris pour réveiller le médecin-vedette de Lindau et occuper sa juste place de praticien. Il avait là, à quelques mètres de lui, un interlocuteur à sa portée, avec qui partager un langage commun pour enfin défendre ses choix au nom de l’éthique et non plus au regard d’un dossier pénal. Rien de tout cela.
Car, après tout, on pourrait concéder au médecin accusé une erreur de diagnostic, une méprise dans la prescription, une confusion dans la posologie, un manque d’à-propos dans le mode d’administration. Certes, le drame n’en eût pas été moins consternant ; cependant, les dérobades et contre-vérités qui accompagnent les rares justifications du docteur Krombach, rendent sa position très inconfortable.

La « piqûre fétiche »
Le naufrage que l’on sentait poindre n’a pas tout à fait eu lieu. A la demande de la présidente, Danielle Gonnin, la maman, l’épouse, celle qui partageait alors le foyer avec Kalinka et le docteur Krombach, intervient à la barre.
On lui demande des précisions. Elle répond : « Oui, Kalinka avait une anémie dont les effets se manifestaient surtout après ses règles. C’est vrai, ce soir-là, elle ne se sentait pas bien. A 20 h 30, je suis formelle elle avait reçu une piqûre. Oui, j’ai pensé que c’était du Kobalt-Ferrlecit, mais je ne peux l’affirmer car je n’étais pas présente au moment de l’injection ».
Enfin, la cour l’interroge de savoir si ce traitement était habituel, et si d’autres personnes, dans l’entourage de Dieter Krombach, en bénéficiait. Danielle Gonnin est très précise :
- « Kalinka recevait du Kobalt Ferrlecit depuis environ un an avant son décès. Dieter Krombach m’en avait administré à plusieurs reprises, et même à ma mère. Je dois dire que ce produit était un peu son médicament-fétiche ».
- « Puisque vous aviez confiance dans les diagnostics et prescriptions de M. Krombach, pourquoi, à l’époque, n’avoir pas répondu à la police sur ce sujet ? »
- « C’est Krombach qui m’a dit que, selon les conseils de ses avocats, il ne fallait pas le faire ».

A.J-K


Nicolas Bamberski, le frère inconsolable et en plein doute

Enfin, un humain est entré dans la salle !
Loin du témoignage obligé des experts souvent ratiocineurs, tatillons et arc-boutés sur leur spécialité, Nicolas Bamberski, 40 ans, est venu témoigner hier en fin d’après- midi. Grand, mince, le cheveu court, le visage buriné par le soleil de la côte Ouest des Etats-Unis, il s’avance en blue jean et dépose son blouson à capuche. Tennis aux pieds, il témoigne en sweat shirt.

D’abord, il s’accroche à la barre comme à un bastingage. Il retient son souffle. Ne sait par quoi commencer. On le sent fébrile, on le voit tremblant. Il cherche dans sa voix l’octave qui lui donnera l’assurance qu’il espère. Au nom de sa sœur, il veut être digne. Il essaie de le dire, sa parole hésite, il tremble, ses premiers mots se cassent au bord des lèvres. La salle entière retient son souffle, de longues secondes, un silence terrible s’empare des poitrines, rougit les yeux et frémit soudain d’un souffle et d’un sanglot. Nicolas Bamberski a onze ans : il vient revoir sa sœur. Il cherche à l’embrasser d’un mot. Ce sera d’un flot : « Je suis ici pour quelque chose que j’ai toujours gardé en moi et que j’ai toujours évité ». Il campe ses yeux vers le jury et enchaîne : « j’aimerais bien aujourd’hui que vous éclaircissiez… (se tourne vers le docteur Krombach) et que Dieter éclaircisse les anomalies et les bizarreries de cette affaire ».
Il pose sa voix, visse ses yeux dans ceux de l’accusé et assène : « Pourquoi n’as-tu pas usé de ton influence pour éclairer la mort de ma sœur, comment as-tu pu te contenter de dire « elle est morte comme ça », toi, le grand docteur de Lindau, pourquoi n’as-tu pas usé de ton influence pour savoir, pourquoi sembles-tu l’avoir utilisée à d’autres fins ? ».
Nicolas Bamberski parle depuis l’ enfant de onze ans, « réveillé par les sirènes d’ambulances » qui, au matin du 10 juillet 1982 a « compris avant qu’on me dise », en descendant l’escalier qui menait à la chambre de sa sœur et au pied duquel s’est fracassée son enfance.
Sa mère sanglote, André Bamberski se tient droit, comme paralysé. Dans la salle, des larmes encore. La présidente elle-même peine à se ressaisir : « Avez-vous une idée de ce qui a provoqué la mort de Kalinka ? »
- « Dans le meilleur des cas, c’était un accident médical, dans le pire, c’est une atrocerie. Je ne sais pas. Mais je ne pense pas qu’elle soit morte comme ça »
- « Quels sont vos sentiments actuels à l’égard de M. Krombach ? »
- « Je voudrais qu’il parle, qu’il s’exprime, c’est de là que vient le doute. Si je n’avais pas su que Dieter avait été reconnu responsable de viol… c’est de là que vient le doute. Je trouve aussi qu’il a la piqûre facile, ça me parait bizarre. Mais je suis content qu’il soit là. J’éprouve de la pitié, de la curiosité et un petit peu de haine. S’il ne donne pas d’explication, je dis que l’absence de vérité est un mensonge ».
Au pied de l’escalier, une chambre « avec un petit rideau » qui barre encore l’horizon de sa vie d’homme. Le tribunal lui ouvrira-t-il cette fenêtre ?


Lundi : prévu pour se poursuivre samedi, le procès part en week-end et attendra finalement lundi pour répondre aux vœux des avocats de Dieter Krombach. Les retards s’accumulent. La semaine prochaine sera consacrée à l’examen des faits et aux expertises psychiatriques de l’accusé. Toutefois, auparavant, on entendra Diana, la fille ainée du docteur Krombach, et ensuite André Bamberski, le père de Kalinka. Autre étape importante de la semaine prochaine : la contre-expertise toxicologique réalisée en 2010, qui dira s’il n’y avait dans le sang de Kalinka Bamberski qu’un traitement ferrugineux pour soigner l’anémie.


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