Cette procédure mérite sur ce site un petit développement particulier, pour ceux qui sintéressent au fonctionnement de la Justice. Dautre part, les péripéties et laboutissement de cette plainte expliquent lenlèvement de Krombach, geste désespéré par lequel A. Bamberski sest affranchi violemment de la légalité : une légalité qui ne lui offrait aucune issue, prête à tout pour léconduire, luser, le détruire.
Tous les détails juridiques, les noms, les dates, les preuves de ce que nous disons ici figurent dans le chapitre exhaustif quA. Bamberski consacre à cette plainte dans son site internet http://pagesperso-orange.fr/a.bamberski (rubrique 16 Ma plainte pénale contre les autorités politiques et judiciaires françaises). Nous nous contenterons pour notre part de donner quelques échantillons et dexprimer quelques réflexions.
Cette plainte est unique, à notre connaissance, dans les annales de la Justice : seul A. Bamberski a eu laudace de mettre en cause nommément dans une procédure pénale de hauts magistrats, des personnalités politiques.
Elle a duré 8 ans (août 2002-mai 2010), a été dépaysée de Paris à Versailles, et a vu se succéder 4 jugesdinstruction !
Pour simplifier nous nous contenterons dévoquer 2 motifs capitaux de la plainte pénale : dune part, la non prise en compte, lors du procès de 95, des circonstances aggravantes, liée à la « requalification » qui a consisté à transformer laccusation initiale dhomicide volontaire en « violences volontaires », ce qui a été très favorable à Krombach. Dautre part, la non exécution de la condamnation de Krombach, cest-à-dire la non diffusion, puis la diffusion incomplète des mandats darrêt contre lui, mandats qui auraient dû assurer immédiatement lexécution de la peine. Rappelons que pour un magistrat, labstention dactes relevant de sa fonction présume la corruption en étant une entrave à la justice, et constitue un crime.
Mme Belin et M. Bellancourt, les 2 premiers juges de Versailles, ont eu le même comportement : se soustraire à la triste nécessité de demander des comptes, cest-à-dire de déplaire, à de hauts magistrats. Cétait pourtant leur devoir dinstruire la plainte. Ils se sont contentés dopposer à la partie civile des refus dinformer, des refus de demande dactes. Mais il faut donner des apparences de justification à ces refus : ainsi Mme Belin appelle « délits » les faits reprochés avant de les examiner, ce qui lui permet de sen débarrasser en les déclarant « prescrits », alors que ces faits pouvaient être qualifiés de « crimes » (non prescrits), si elle avait bien voulu les examiner au préalable. Cette absurdité est relevée par la cour dappel qui lui donne tort, en déclarant « impossible de statuer sur léventuelle prescription sans information préalable » (juin 2004).
De son côté M. Bellancourt affirme froidement que, les affirmations de la partie civile étant « non corroborées par dautres éléments du dossier
laudition de ces magistrats paraît démesurée ». Laffirmation par exemple que la condamnation de Krombach na pas été suivie du lancement dun mandat darrêt, se trouve parfaitement corroborée par les faits et le dossier
Mais laudition des magistrats était surtout « démesurée » par rapport au courage très limité de M. Bellancourt. Le même juge refuse dauditionner un magistrat sur lanomalie dénoncée par A. Bamberski au motif que ce serait « inutile à la manifestation de la vérité » : il connaît le résultat dune audition quil na pas faite.
Lidée semble être quon peut se permettre nimporte quoi envers le justiciable, qui est un imbécile. La mauvaise foi se conjugue avec le mépris.
La 3ème juge, Mme Poux, na pas été si lâche. Elle a osé convoquer les hauts magistrats, et ce sont leurs réponses qui sont édifiantes. J.F. Burgelin, A. Benmakhlouf et J. L. Nadal sont incriminés en tant que Procureurs généraux (rappelons que le Procureur a pour fonction et pour obligation légale dassurer lexécution des décisions de justice), L. Le Mesle, en tant que Sous-Dr des Affaires pénales générales au Ministère de la Justice, D. Wacogne, comme président de la Cour dassises de Paris.
Aucun juge dinstruction na voulu interroger J.F. Burgelin (le premier à ne pas remplir son rôle), dans lattente de son décès (survenu en février 2007).
L. Le Mesle nie avoir empêché lexécution en se retranchant derrière la fin de la phrase qui donne consigne à J.F.Burgelin (« ne pas exécuter sans men rendre compte »)pour prétendre quil na pas fait obstacle au lancement du mandat darrêt, alors que son interlocuteur a bien compris quil fallait sabstenir, et la écrit, sans que Le Mesle rectifie. Lexplication invoquée par Le Mesle pour avoir différé ne vaut guère mieux : il retardait le mandat, dit-il, pour pouvoir en aviser dabord les Allemands (et pour que Krombach se mette à labri, sans doute ?!)
Quand A. Benmakhlouf est arrivé en sept 96 comme procureur général de la cour dappel de Paris, il a été « surpris » de constater quil ny avait pas eu diffusion normale du mandat darrêt. Il ordonne donc cette diffusion. Mais elle a été incomplète, pourquoi ? questionne la juge. Réponse : « Je ne sais pas pourquoi il y a eu cette diffusion limitée dont vous minformez
Pourquoi cela na pas été fait, je ne le sais pas. » Comme cest vraisemblable de la part dun Procureur général de la Cour dappel de Paris
qui a écrit de sa main la liste des 7 pays auxquels il a limité la diffusion. Ses réponses sont dailleurs peu variées : « Je nai pas gardé le souvenir », « Je lignore totalement », « Je nai pas dexplication ».
J.L. Nadal nie avoir reçu les courriers que lui adressait pourtant A. Bamberski en recommandé. En fin 2002 il na pas été informé (lui procureur général
) de la possibilité dinterpeller D. Krombach en Egypte, et trouve cela rétrospectivement « très surprenant ». Nous aussi.
D. Wacogne nie toute pression de lAllemagne. Quand il a été chargé du procès, il ignorait que ce procès avait été déjà reporté 3 fois. Il le reporte sine die une 4ème fois, après avoir reçu dans son cabinet, il ne se rappelle plus qui au juste, ayant oublié le représentant de lambassade dAllemagne (quA. Bamberski et son avocat Me Gibault nont pas oublié, eux
). Pourquoi la Cour sous sa présidence na-t-elle pas pris en compte les circonstances aggravantes ? Cest le secret du délibéré.
On aura compris que ces magistrats pratiquent sans vergogne et sans états dâme les faux-fuyants, les contre-vérités, les mensonges. Tout ceci a abouti au non-lieu attendu, inévitable. La juge la décidé : les faits dénoncés ne sont pas des infractions pénales. Elle a pourtant reconnu des choses intéressantes à la fin de son ordonnance:
« Les investigations réalisées ont permis détablir un certain nombre de faits dénoncés par M. Bamberski, sagissant de la mise à exécution tardive de larrêt de contumace, de la diffusion tardive et limitée au niveau international de lordonnance de prise de corps et des interventions des autorités diplomatiques allemandes auprès du Ministère de la Justice, mais également du Procureur Général de Paris et du Président de la Cour dassises de Paris ».
La juge na donc pas été dupe, notamment des réponses dA. Benmakhlouf et de D. Wacogne
Dautant plus quelle ajoute :
« Il convient dautre part de constater, quen dépit des interventions des autorités allemandes, D. Krombach a fait lobjet dune condamnation par contumace de la Cour dassises, que dailleurs lors de laudience du 9 mars 1995, lavocat général na pas requis la requalification des faits et a requis lapplication de la peine maximale prévue pour meurtre ; que D. Krombach a finalement fait lobjet dune diffusion internationale, puis dun mandat darrêt européen et que des démarches ont été entreprises pour obtenir lextradition de Krombach lors de son interpellation en Autriche en 2000 et pour obtenir la levée des IVP notamment auprès de lItalie, même si M. Bamberski apparaît toujours comme étant à lorigine de ces mesures. »
Il aurait mieux valu rester sur ce non-lieu. Mais A. Bamberski avait fait appel. Appel rejeté le 21 mai 2010 par la chambre de linstruction de la Cour dappel de Versailles et signé du président Valat. Cet arrêt, très en retrait sur le non-lieu, est dune minutie et dune partialité extraordinaires. Il explique naturellement tous les faits dont se plaint A. Bamberski. Voici un exemple de largumentation retorse pratiquée dans ce texte étonnant. Le rédacteur cite le code pénal qui définit ainsi linfraction : « Le fait de fournir à lauteur dun crime un logement, un lieu de retraite, des subsides, des moyens dexistence ou tout autre moyen de le soustraire aux recherches ou à larrestation ». Là-dessus il en conclut que « laction de fournir suppose un acte positif et non une abstention ». Linaction nest donc pas une infraction, et le fait de ne pas lancer le mandat darrêt pour exécuter la condamnation de Krombach ne rentre pas dans le cadre des « moyens de soustraire la personne condamnée aux recherches et à larrestation ». Bref, tout est bon pour justifier linjustifiable, et tout point de vue autre que celui dune âpre défense des magistrats est absent : le réflexe corporatiste a joué à plein.
Bilan
Tous les magistrats ne sont pas indignes, loin de là. A. Bamberski a rencontré sur sa route des magistrats à la hauteur de leur mission. Mme Poux a manifesté un courage certain, même si elle nest pas allée jusquau bout. A. Bamberski a pu mener sa plainte, qui aurait pu ne jamais voir le jour, ses appels ont été parfois acceptés, le pourvoi de décembre 08 a cassé le procès de 95, reconnaissant que les magistrats avait changé en faveur de Krombach la formule de laccusation au prix dune violation du code pénal. Sur action dA. Bamberski, la Justice a donc été capable de faire le procès dun procès
Il reste que nombre de magistrats français sont scandaleusement au-dessous de ce quon peut raisonnablement espérer, même en tenant compte des erreurs et faiblesses humaines. On voit même que lexigence morale est inversement proportionnelle à limportance et au prestige de la fonction. La carrière passe visiblement avant la mission. La belle carrière de J.F. Burgelin, hautement célébrée par La Croix lors de sa retraite, en est un exemple. Ces hauts magistrats manifestent une complaisance servile envers les autorités politiques qui les manipulent à leur guise. (Est-ce à dire que la fameuse séparation des pouvoirs, garante de la démocratie, nexiste pas chez nous ? Non pas ! On nous la envoyée à la figure chaque fois que nous avons fait appel à un politique. La séparation des pouvoirs est même très utile : elle sert à éconduire les fâcheux).
Plus généralement les magistrats cèdent trop souvent à la tentation dabuser de la position de faiblesse du justiciable et comptent avec arrogance sur limpunité que leur assure leur statut et leurs connaissances. Ce manque déthique est dautant plus choquant, que la vérité, le droit, le bien sont au cur même de leur fonction. Ils manquent dhumanité.
Pourtant, malgré les fatigues et le temps dévoré, cette plainte naura pas été inutile à A. Bamberski. Grâce à elle il a pu constater que ses soupçons étaient fondés, découvrir des preuves, faire admettre officiellement des anomalies et infractions (dans le non-lieu, le pourvoi). Ce sont pour lui de vraies victoires.
On espère aussi que cette plainte sera utile à dautres, en brisant un tabou. De hauts magistrats ont dû venir devant un juge répondre à des questions sur leur comportement, des médias lont souligné
Peut-être certains se sentiront-ils moins libres de tout faire, de tout dire, sans contrôle et sans limite ? Peut-être hésiteront-ils à infliger au justiciable les lenteurs, prétextes grossiers, faux arguments et phrases creuses, destinés à travestir (si mal !) leur mauvaise foi ? Peut-être la corruption intellectuelle ou sociale, lentrave à la justice par des magistrats, crime prévu par la loi (celle sur papier), sera-t-elle un jour un crime sanctionné dans la réalité, par la loi appliquée? On peut rêver !
Remarque : Le non-lieu de juillet 2009 donne le droit aux magistrats de se retourner contre A. Bamberski pour dénonciation calomnieuse. Depuis 1 an, personne ne sest manifesté.